Au Camping Radikal, la jeunesse grecque prépare la riposte

Du 31 juillet au 8 août, Ensemble Jeunes a été invité au Camping RadiKal des jeunes du courant ARAN d'Unité Populaire en Grèce. ARAN était partie prenante d'une coalition d'extrême gauche, ANTARSYA,et a rejoint en septembre 2015 l'Unité Populaire, l'une des principales composantes de la gauche radicale en Grèce, gauche radicale aujourd'hui très dispersée.

Le but de cette rencontre avec nos camarades grec.que.s était double : d'un côté le renforcement de nos liens mutuels, car nous partageons le même projet de société internationaliste ; et de l'autre côté, puisque les camarades en Grèce ont attentivement suivi la mobilisation contre la loi travail en France, l'échange de nos pratiques et expériences politiques. Le RDV auto-géré annuel du Camping Radikal – composé de débats politiques, de plage et de concerts le soir – a cette année réuni plus de 300 personnes, toutes animées par la même volonté de mettre fin aux politiques d'austérité qui touchent particulièrement la jeunesse. Toutefois, les ambitions des participant.e.s au Camping RadiKal vont au-delà du refus de la précarisation généralisée que le gouvernement de Syriza présente comme seule voie possible. L'objectif était bel et bien de préparer les actions susceptibles de briser le gouvernement en cas de situation de crise, afin de contribuer à l'émergence d'une société communiste future. En effet, malgré la désillusion qui s'est instaurée après la volte-face du Premier ministre grec Alexis Tsipras en juillet 2015, lorsque celui-ci a accepté le plan d'austérité de la Troïka (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne, FMI), une partie importante de la jeunesse grecque se tourne vers la gauche radicale.

La précarisation généralisée de la jeunesse grecque

La crise économique, qui dure depuis 2008, touche particulièrement la jeunesse. Ainsi, environ 60 % des jeunes diplômé.e.s se trouvent au chômage et les emplois proposés aux jeunes sont généralement précaires. Pour celles et ceux qui ont trouvé un emploi les salaires sont souvent versés avec des mois de retard et par rapport à l'ensemble du niveau des salaires – qui est globalement en baisse – les salaires des jeunes sont encore significativement plus bas. En même temps, les conditions de licenciement ont été facilitées et les indemnités en cas de licenciement injuste baissées (ce qui rappelle drôlement la loi travail en France). Dans ce contexte, il faut garder à l'esprit que souvent les jeunes sont les premiers concernés par les licenciements. De plus, régulièrement les patrons transforment unilatéralement des emplois à temps plein en contrat de travail précaire. Parallèlement, faire des études devient de plus en plus difficile puisque les gouvernements successifs ont fortement limité l'accès aux bourses. Le gouvernement de Tsipras – comme ses prédécesseurs – organise donc la baisse du niveau de vie de la majorité de la population et désormais il n'hésite plus à défendre les coupures d'eau et d'électricité pour le nombre croissant de ménages pauvres. De même, il ne participe pas seulement au traitement inhumain des réfugié.e.s organisé par l'Union Européenne mais criminalise les militant.e.s – souvent jeunes – actif.ve.s dans la solidarité avec les migrant.e.s.

Face à la baisse de son niveau de vie la population grecque a dans un premier temps élu en janvier 2015 le parti Syriza, qui proposait une rupture radicale avec l'austérité. Dans un deuxième temps le peuple grec a très majoritairement rejeté en juillet 2015 un nouvel plan d'austérité proposé par la Troïka. Et c'est notamment la jeunesse grecque qui a contribué à la victoire du non (OXI) au référendum : 85 % des jeunes se sont opposés au 3e mémorandum de la Troïka. Dans ce contexte d'espoir déclenché par la victoire du non, la capitulation de Tsipras une semaine plus tard a été particulièrement amère. Ces événements ont totalement décrédibilisé la gauche radicale aux yeux du peuple grec. Elle se trouve donc devant le double défi de recréer la confiance en la possibilité d'une rupture radicale et de tirer les leçons programmatiques et stratégiques de l'abandon de Syriza de tout ambition de changement.

Les questions centrales pour la gauche grecque

A partir de la considération que le refus de Tsipras d'appeler à des mobilisations de masse en soutien au gouvernement a facilité aux marchés la transformation de Syriza en un parti au service des créditeurs et du patronat, le Camping Radikal a été l'occasion de souligner l'importance de lier les enjeux électoraux plus étroitement aux nouvelles formes de pouvoir populaire, qui s'expriment notamment à travers des actions de solidarité et d'autogestion. Dans ce sens, les organisateurs du camping participent aux occupations de logements vides au profit de réfugié.e.s et d'usines au bénéfice des travailleur.euse.s licencié.e.s. Face à la marchandisation de l'éducation, l'autogestion est également le fil rouge qui conduit les actions de soutien scolaire que les jeunes d'ARAN mènent dans des centres sociaux à Athènes.

Ces réflexions sur le pouvoir populaire et les actions qui en découlent sont également un élément indispensable pour rétablir le lien de confiance, qui avait régné entre les travailleur.euse.s et la gauche radicale avant la capitulation de Tsipras. En effet, lorsque Syriza, le parti qui incarnait le laboratoire de l'espoir pour la société grecque et au-delà, a décidé de mener une politique austéritaire encore plus dure que celle des gouvernements précédents la désillusion fut immense dans la société grecque. Et même les forces anti-mémorandum, qui se sont rassemblés dans le nouveau parti Unité Populaire, n'ont pas été épargné par cette perte de crédibilité. La tâche d'UP est donc de convaincre à nouveau que la rupture radicale est faisable, ce qui implique également plus de clarté politique.

Cette clarification concerne notamment le rapport de la gauche radicale à l'Union Européenne. En effet, les contraintes imposées par les structures des l'Union Européenne sont très largement présentes dans la politique grecque et l'échec du premier gouvernement de Syriza (entre janvier et septembre 2015) provient du refus d'affronter fondamentalement ces structures. Par conséquent, faute de sortir de la zone Euro pour pouvoir mener à bien l'annulation de la dette illégitime, le deuxième gouvernement de Syriza impose une politique d'austérité sans précédent. A l'inverse, le mot d'ordre au Camping Radikal tourne autour de la reconstruction de la Grèce après 8 ans de destruction. Dans la mesure où l'expérience du premier gouvernement Tsipras a montré que l'UE n'est pas réformable cet objectif se base en particulier sur la rupture avec la zone Euro et l'Union Européenne comme seule condition – et non pas comme solution magique – à laquelle une politique de gauche menant au communisme (l'objectif explicitement affiché du camping) est possible. Cette position semble largement en phase avec les plus de 70 % de la population grecque qui sont défavorables à l'Union Européenne, avis qui est encore plus prononcé chez les sympathisants de la gauche. La reconstruction devra également passer par une coopération renforcée avec les pays des Balkans et des pays souffrant particulièrement des politiques de l'UE comme l'Italie et le Portugal. Dans le cadre de la politique de reconstruction, la reconquête de la souveraineté devra armer un gouvernement progressiste contre les attaques de la classe possédante à la fois au niveau national et européen, afin de pouvoir réaliser une politique sociale et écologiste.

Nous retournons donc en France avec la certitude que la gauche radicale en Grèce est en bonne voie de reconstruction pour les luttes à venir. Tout comme les luttes intenses de nos camarades en Grèce pendant la séquence de 2010-2012 et leur prolongement électoral en 2015 nous ont encouragé à poursuivre les combats en France, l'échange au Camping Radikal autour de l'expérience française de la lutte contre la loi travail a pu renforcer nos camarades grec.que.s dans leur conviction de poursuivre le combat. Enfin, il ne faut pas oublier que l’assaut contre les droits des travailleur.euse.s organisé par la Troïka et ses alliés sur le plan national en Grèce est un exemple pour toute l'Europe. Par conséquent, la gauche française a tout à gagner à s'inspirer des expériences et conclusions politiques de nos camarades en Grèce.

Benjamin Birnbaum

 

 

 

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