Construisons Ensemble! Evitons les faux débats (1)

Cet article répond à deux textes, un de Laurent Lévy (Fonctionnement et type d'organisation) et un autre signé par 16 membres d’Ensemble ! (dont Laurent). Tous les deux sont publiés sous forme de blog sur le site d'Ensemble! Les camarades s’élèvent contre des propositions non-précisées (une « petite musique » qui monte) venant de camarades qui ne sont pas nommé-e-s. C’est un procédé curieux et même désagréable. Ils pensent clairement qu’il y a des principes importants en jeu, mais ne propose aucune mesure concrète, si ce n’est de maintenir des structures « plus ou moins floues » (Laurent). C’est la raison pour laquelle j’ai pensé nécessaire de faire entendre une autre … musique.

La métaphysique : « Spéculations intellectuelles sur des choses abstraites qui n'aboutissent pas à une solution des problèmes réels ».

La contribution collective Construire Ensemble !, sous-titrée Un débat qui n’a rien de « stratosphérique », ainsi que le texte séparé de Laurent Lévy, souffrent de trop de généralisations et d’abstractions – l’argumentation est justement « stratosphérique ».

Ainsi, les camarades s’élèvent contre une « conception que nous pensons obsolète de la politique telle qu’elle a été portée par les formes d’organisation de la gauche du XXe siècle », mais ils ne définissent ni cette « conception », ni les « formes » qu’ils pensent obsolètes.

Car le problème ne vient pas, selon eux, des « formes des partis », mais d’une « forme-parti » qui semble exister indépendamment des partis ayant réellement existé. Laurent Lévy nous incite d’abord à débattre cette dernière question « préalable ». Mais au lieu de proposer une définition de celle-ci, il nous fait une caricature d’un parti « fermé », se constituant en « chapelle … considérant la politique comme la propriété des militant-e-s » et « revendiquant … une fonction spécifique dont serait exclu le reste de la société ».

C’est une caricature qui ne correspond ni à la réalité des partis de masse (je ne parle pas des micro-partis qui parfois ressemblent à la caricature mais qui n’ont aucune influence en dehors d’un microcosme sectaire), ni à aucune conception défendue par des camarades d’Ensemble !

Quelle est cette « forme-parti » qui serait l’essence de tous les partis « du XXe siècle » ? A aucun moment les camarades cherchent-ils/elles à analyser ces derniers dans leur contexte historique, en tenant compte de leurs rapports internes et avec le monde extérieur (institutions, syndicats, mouvements de masses, classes sociales …). 

Pensent-ils/elles que le parti social-démocrate allemand d’avant 1914, les partis communistes de l’Internationale Communiste (dont certains deviendront ‘eurocommunistes’ par la suite), le parti travailliste britannique, pour ne mentionner que des représentants de trois grandes familles politiques, partageaient la même conception et avaient le même fonctionnement, et ce indépendamment de la période historique traitée ?

Les formes organisationnelles des siècles passés, dont on sait qu’elles étaient déjà le sujet de vives controverses (il n’y a souvent rien de nouveau sous le soleil) étaient-elles le résultat d’une abstraction (la « forme-parti »), ou des réponses partielles, variées et nécessairement imparfaites aux problèmes réels posés dans des contextes historiques diférents ?

Les camarades considèrent que « penser les modes d'organisation passe par une réflexion sur ce que l'on attend d'une organisation politique de l'émancipation aujourd'hui : qu'elle permette une implication militante du plus grand nombre. »

Pensent-ils/elles que les centaines de milliers de militant-e-s qui ont rejoint les organisations ouvrières « du XXe siècle » (en fait cela remonte au XIXe) n’avaient pas le souci de « l’émancipation » ou de « l’implication du plus grand nombre » ? Ils/elles n’avaient jamais lu le Manifeste Communiste où Marx affirme que « L’émancipation du prolétariat sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » ? Ils ne connaissaient ni L’Etat et la révolution, de Lénine, ni les écrits de Luxemburg sur les grèves de masse ? Les militant-e-s n'étaient pas impliqué-e-s dans les syndicats, et ne débattaient pas des rapports entre leur parti et ceux-ci ? Leurs organisations n’étaient pas intimement liées au développement des comités des délégué-e-s d’usine en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne ou aux conseils ouvriers (soviets) en Russie ? 

La question des rapports entre l’organisation politique et les mouvements de masse (entre ‘parti’ et ‘classe’), et celle, liée à la première, des rapports internes à l’organisation (entre militants et collectifs,‘base’ et 'sommet’, 'verticalité' et 'horizontalité' - même si les mots n'existaient pas encore -, ‘centralisme’ et ‘fédéralisme’)- cette question est à la fois ancienne et contemporaine. On ne peut pas la trancher à coups de qualitatifs ou formules creuses comme « nouveau » ou « du XXIe siècle ».

Cessons aussi de créer de faux-débats. Pour Laurent, « le choix d’organisations fermées … est devenu inacceptable ». Mais à part le fait que de telles organisations n’ont existé que très rarement, que veut dire « fermé » dans ce contexte ?

A partir du moment où une organisation adopte un programme, même a minima, elle n’est pas totalement ouverte. Elle est contre le racisme et toutes les discriminations, soutient les luttes ouvrières, se bat contre les traités de libre-échange, défend les droits démocratiques … ? Par conséquent, elle n’accueillera pas des racistes, des chefs d’entreprise, des économistes libéraux ou des personnes qui votent l’état d’urgence.

Il y a forcément une « frontière » (même si elle est invisible) entre l’organisation et le monde extérieur, et c’est normal et nécessaire. Bien sûr, la sélection se fera en grande partie naturellement. Mais cela n’élimine pas la nécessité d’établir des limites et des règles. Si un-e adhérent-e ou un-e sympathisant-e s’avère être raciste ou homophobe, s’allie avec les patrons ou le gouvernement contre des grévistes …, il ou elle ne pourra pas continuer à bénéficier de ce statut – et dans le cas contraire, il y aurait de quoi s’inquiéter. A plus forte raison s’il ou elle a des responsabilités publiques (élu-e, porte-parole …). D’où la nécessité de définir le statut.

Quand Laurent décrit une « organisation de collectifs militants ouverts, poreux, souples, devant servir d’instruments pour l’intervention politique » je ne vois pas qui pourrait être en désaccord. Mais une fois quon l'a dit, on n'a rien dit, ou presque. Clairement, un collectif ayant comme but l’intervention politique doit être ouvert à la société, capable de s’adapter. Mais il ne peut pas être totalement ouvert, non plus, ni souple au point de ne ressembler à rien. Plutôt que poser une fausse alternative idéalisée « ouvert/fermé », essayons de définir précisément le meilleur rapport de l’organisation avec le mouvement social et le régime interne qui convient le mieux à ses objectifs.

La question n'étant pas épuisée, suite au prochain numéro ...

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Auteur: 
Colin de Saint-Denis