Ensemble! Autogestion Émancipation Nouvelle Force Réponse à Samy (saison 3)

Ensemble! Autogestion Émancipation
Nouvelle Force
Réponse à Samy
(saison 3)
La réponse de Samy à notre dernier texte montre que le débat progresse et que les qualifications diverses dont il nous gratifiait ont peu à peu disparu. Cela est heureux car nous sommes ainsi débarrassés des scories qui polluaient la discussion, ce qui nous permet de nous concentrer sur l’essentiel.
Sur la prise du pouvoir, apparemment Samy a mal compris ce dont nous parlions. Il résume les organisations que nous évoquions à une « poussée de l’ensemble de la société ». Or il s’agit de deux choses distinctes. Bien sûr, sans cette poussée, rien ne se passe. Mais, à côté d’elle, ce dont il est question c’est d’organisations politiques de masse, composées de structures militantes venues de tous les horizons, politiques, syndicaux, associatifs, etc. Dans l’urgence révolutionnaire, il serait même préférable que ces organisations se résument à une seule, une sorte de CNR nouvelle moûture (Conseil National de la Révolution), seule légitime pour prendre le pouvoir central..
Certes, les différentes composantes de cette organisation ont des fonctions distinctes. Pourquoi ces particularités s’effacent-elles, ou plutôt fusionnent-elles au moment de la prise du pouvoir ? La réponse est complémentaire de la question que pose Samy : « qu’est-ce qui fait que cela se concentre à un moment sur la prise du pouvoir ? ». Probablement par le jeu des contradictions. Les questions successives qui se posent au processus révolutionnaire sont réglées une à une jusqu’à ce qu’on arrive à la contradiction ultime, au nœud indénouable qui fait que la seule réponse possible est de le trancher. Or ce dernier blocage opère pour toutes les organisations, qu’elles soient politiques, syndicales, associatives… De sorte que l’objectif commun, évident et nécessaire à la fois, est la prise du pouvoir. C’est précisément quand la question du pouvoir est ainsi posée que l’on entre dans la période proprement révolutionnaire.
Revenons sur ces particularités.
Même si elles fusionnent au moment de la prise du pouvoir, elles ne disparaissent pas pour autant. Le syndicalisme est au cœur même de la lutte des classes, mais celle-ci se joue aussi sur d’autres terrains. Dans l’idéologie, bien sûr, ce qu’Althusser appelait la lutte des classes dans la théorie. Mais aussi dans la politique qui est un champ spécifique, avec ses propres règles et où se déploient les partis. C’est même là la particularité des partis, davantage que leur fonction d’intellectuels collectifs et de mémoire, ce qu’ils partagent avec d’autres collectifs comme les syndicats, par exemple.
Incidemment, concernant les révolutions dites « arabes », nous sommes dans la même perplexité que Samy. Pourquoi, en effet, la question systémique ne s’est-elle même pas posée ? Ni lui, ni nous ne semblons pouvoir apporter une réponse satisfaisante. Or il va falloir nous pencher sérieusement sur ce mystère, car il s’agit d’une question stratégique. Si les peuples peuvent se lancer dans des processus révolutionnaires sans même envisager un changement radical de système économique, écologique et social, cela remet en cause beaucoup de nos certitudes.
Pour tout ce que dit Samy sur le Droit pérenne, le multipartisme, le suffrage universel, cela relève des droits constitutionnels, ce qui renvoie à une assemblée constituante démocratiquement désignée. Inutile de rajouter des divergences quand elles n’existent pas.
Enfin, le débat sur la propriété est lancé !
Cette question est absolument centrale, dans la mesure où elle détermine pour une large part le type de société qui succédera au capitalisme. Or sur ce point la gauche radicale est d’une timidité surprenante. Nous parlons souvent de limiter le pouvoir des actionnaires, rarement de l’éradiquer. Jamais nous ne faisons campagne sur l’archaïsme de la propriété privée, jamais nous ne soulignons que la modernité, c’est la démocratie et que la propriété est la négation-même de la démocratie.
Pour autant, le tableau que brosse Samy des perspectives qui pourraient être celles d'une société post-capitaliste est terrifiant. Il décrit un État devenu écrasant, omnipotent et, vu les expériences désastreuses du siècle passé, on voit mal comment cela pourrait dessiner un avenir désirable. Outre la contradiction entre l'objectif lointain du dépérissement de l’État et la mise en œuvre immédiate d'un renforcement colossal de sa puissance, dont les termes avaient été posés dès la fondation du système soviétique, un tel développement de la puissance de l’État récuse radicalement tout projet autogestionnaire. Il s'agit d'une économie administrée et il serait illusoire de croire qu'une place, même modeste, serait laissée aux véritables acteurs économiques, les salariés. Par ailleurs, ce type de modèle économique est la rampe de lancement idéale pour l'émergence d'une bourgeoisie endogène. Accessoirement on peut faire l'hypothèse que cette vision de Samy de la société post-capitaliste a un lien avec le type d'organisation révolutionnaire qu"il privilégie. Un parti pyramidal et centralisé est en phase avec un Etat fort. Mais c'est un autre débat qui aura lieu en son temps.
Cet avenir dépeint par Samy est pourtant assez logique puisque celui-ci n'envisage que deux types de propriété, publique donc d’État pour l'essentiel, et privée. Le capitalisme étant fondé sur la propriété privée, il est alors normal qu'une société post-capitaliste le soit sur la propriété publique.
Le moment est peut-être venu de réfléchir à d'autres types de propriété .
Commençons par le secteur privé, c'est-à-dire l'essentiel des entreprises industrielles et de services et les terres agricoles, dont Samy ne parle pas mais dont il envisage peut-être aussi la nationalisation, les expériences passées en la matière ayant rencontré le succès que l'on sait. Il est incontestable que même collectivisées ou socialisées, même autogérées, ces entreprises resteraient privées, sauf nationalisations massives. Imaginons deux types de propriété entrelacés.
La propriété symbolique et surtout juridique reviendrait à la Nation ; symbolique parce que la Nation c'est à la fois tout le monde et personne, en tout cas personne qui puisse parler ou agir en son nom ; juridique parce que cela interdit à quiconque de vendre ou acheter une entreprise ou un terrain, qui cessent ainsi d'être des marchandises. De façon corollaire serait associée une propriété d'usage. Les paysans, isolés ou en coopérative, les collectifs de salariés en entreprise seraient alors les propriétaires de fait de leur outil de travail, sans en avoir la qualité juridique. Exit la rente foncière. Bien sûr, cela soulève nombre de questions subséquentes qu'il n'y a pas lieu de traiter ici : procédures d'attribution des terrains vacants, concurrence ou non entre entreprises appartenant toutes à la Nation, intégration dans le Plan, etc.
Quant au secteur public, on ne peut tout mettre dans le même paquet. L'armée est une part constitutive de l’État et, selon toutes probabilités, le restera. L'école est, comme on disait naguère, un appareil idéologique d"État et restera nationale. La santé, c'est plus complexe. Les laboratoires pharmaceutiques, l'hôpital, la médecine de ville qui, tous, ressortissent de la santé, ne sont pas à traiter de la même façon. Les premiers relèvent de la recherche d'une part, de l'industrie de l'autre. L'hôpital et la médecine de ville sont les outils d'un service public de la santé dont l'articulation ne pourra être précisée que par des états généraux de la santé.
Sans entrer davantage dans le détail, énonçons pour le secteur public un principe simple : la copropriété d'usage systématique entre les pouvoirs publics (l'Etat ou les collectivités territoriales selon les cas), les salariés et les usagers (à travers par exemple les associations de consommateurs). En appliquant, en cas de représentation, les mêmes règles que pour le personnel politique.
Un second principe nous paraît essentiel, celui d'avoir pour objectif la gratuité pour les usagers de tous les services publics. C'est là la manière la plus radicale et la plus définitive de contester l'idée-même de marché, à la condition absolue de viser en même temps l'excellence du service rendu. Cela ne se fera certainement pas de but en blanc, mais cet objectif sera sans cesse réaffirmé et peu à peu mis en pratique. Enfin les questions du Plan et du contrôle du crédit seront décisives. Sans les aborder ici dans le détail, nous affirmons que l’État ne peut être seul décideur en la matière. C'est à cette condition que l'on pourra envisager l'ébauche d'une planification démocratique.
Il est difficile de comprendre pourquoi Samy développe tout un paragraphe sur les relations entre le global et le local, comme s'il nous opposait un argumentaire. On peut supposer qu'il nous soupçonne toujours de négliger le global au bénéfice du local. Comme ce n'est pas le cas, il n'y a pas d'objection de notre part à ce qu'il dit sur ce sujet. En revanche, il manifeste son impatience de nous voir adopter une position sur le type d'organisation révolutionnaire dont nous avons besoin. Or il ne s'agit pas d'une question indépendante ou parallèle. Tous ces débats que nous avons sur l'autogestion, sur l’État et sa conquête, sur la propriété vont influer la position des uns et des autres sur l'organisation. Tout compte fait, il est sain que nous ayons abordé tous ces points avant d'envisager de définir notre prochaine organisation.
Pour finir, à l'incompétence supposée de la "populace", opposons la réponse des démocrates athéniens : c'est la démocratie et donc le débat démocratique qui constituent la meilleure école de compétence. C'est d'ailleurs ce que dit Samy. Est-ce l'assurance que la "parole populaire" ne se trompera pas ? Bien sûr que non, pas davantage que la compétence de nos prétendus experts ne garantit qu'ils ne disent pas souvent des bêtises. Eh bien, assumons-le, si c'est le prix à payer pour une société d'émancipation.
Pour le courant "Autogestion-Emancipation
Bernadette Bouchard, Gérard Laplace, Dominique Resmon
14 septembre 2021