Extraits du moment barbare

Discours prononcé au 40ème congrès du parti écosocialiste, 3 jours après la 5ème catastrophe (seul le prononcé fait foi)
« On se trompe sur le sens des événements ; nous ne nous éloignons pas de la barbarie, nous y allons. » Jacques Abeille
« Aujourd'hui, ceux qui disent la vanité de la lutte contre le capitalisme disent : « la barbarie est notre destin ». Isabelle Stengers
Cher-e-s camarades,
maintenant on arrête les conneries. Vous pourrez me critiquer comme bon vous semble, vous pourrez même déformer et déstructurer mon discours, je m'en fous. A la limite, si vous le faites, c'est que nous nous bougeons enfin.
Nous sommes réuni-e-s alors qu'une nouvelle catastrophe vient de se produire. Je vous le dis comme je le pense : nous en sommes responsables. Nous en sommes responsables car nous savons pourquoi cette nouvelle catastrophe s'est produite et pourtant nous n'avons pas su l'éviter.
Nous avons écrit de belles théories, nous avons fait de beaux discours, nous avons organisé de belles « mobilisations », mais nous sommes en train de perdre. Les catastrophes se succèdent, la barbarie s'est installée, le capitalisme et le productivisme se portent bien et se moquent bien de nous.
Et puis, j'en ai un peu marre de ce mot : « écolosocialisme ». Cette association de termes nous enterre dans une terminologie sur-utilisée, parfois mal comprise. Et puis les gens ont besoin d'autre chose. A la limite, dans les années 2010/2020, alors que nous en étions au début du mouvement, je pouvais comprendre. Mais aujourd'hui ?
La transformation que nous voulons a besoin d'un impacteur.
C'est une transformation anti-capitaliste et anti-productiviste. Oui, anti-productiviste. Ce que je vais nommer par paresse « communisme » a franchement été productiviste et donc est aussi responsable des catastrophes. Tout cela vous le savez, mais c'est bien de le rappeler.
Le capitalisme et le productivisme nous épuisent et épuisent notre planète. Les ravages sont si nombreux que je vais m'épargner de tous les citer. Les ravages passent mais nous continuons à nous enterrer. A chaque nouvelle catastrophe nous disons « ah, enfin, voilà le grand soir, les peuples vont enfin comprendre » et les forces de l'ordre disent « plus jamais ça, cette fois on a compris ». Et une nouvelle catastrophe survient sans que nous n'ayons réussi à transformer le monde.
La finance continue de nous pressurer comme de vulgaires kiwis asséchés. Et pourtant, il n'y a plus grand chose à nous prendre.
Les accidents nucléaires sont désormais mensuels. Au moins pour ce qu'on en sait.
Les rapaces et vautours capitalistes demandent toujours plus à leurs victimes humiliées et lessivées. Le pire est qu'ils arrivent à trouver de nouvelles victimes.
Les pollutions s'étendent, rythmées par l'augmentation régulière des températures. L'imagination en termes de pollutions étant d'ailleurs illimité.
Le travail est une souffrance qui n'a d'autre sens que de survivre pour servir.
On s'étonne lorsque l'un-e- d'entre nous n'a ni maladie respiratoire, ni allergie.
On s'étonne que les peuples acceptent les « ça ira mieux demain » des forces de l'ordre et les « servons-nous avant que d'autres se servent ».
On s'étonne de ne pas être compris.
L'austérité est permanente, elle n'est qu'un outil de la barbarie. Et pourtant nous parlons encore d'austérité sans parler de la barbarie.
Les banques ont été « sauvées » tant de fois que l'on a cessé de compter ce que l'on est censé rembourser à leur place.
Nos « petits gestes quotidiens » pour sauver la planète sont devenus des rituels.
Et nous dans tout ça ? Nous sommes la gauche dite radicale, nous avons raison et nous savons ce qu'il faut faire pour sauver le monde. Qu'avons-nous fait ?
Nous sommes restés dans nos vieilles structures et nos vieilles pratiques. Nous cherchons encore l'émancipation dans notre militantisme, nous qui prônons l'émancipation tout court. Nous cherchons même parfois des alliances avec ceux qui devraient nous paraître nos adversaires.
Il serait bon, dans tous les sens du terme, que nous mettions enfin les mains dans le cambouis.
La transformation est l'axe d'un mouvement citoyen. Elle percute donc aussi les modes de fonctionnement collectif. Le mouvement social doit enfin devenir un...mouvement ! Cessons d'être figé-e-s dans nos partis et syndicats ! Avons-nous réellement pris conscience de l'envie citoyenne de transformation ? Nous laissons des monarques comme Saurel à Montpellier kidnapper cette envie de transformation.
Le mouvement doit être citoyen car le contrôle sera citoyen. L'organisation vitale devra donc apprendre de nos tares, telles que la bureaucratie et la vanité. Notre vanité, oui, car nous serons dépassés par le mouvement, et ça c'est dur à accepter. De n'être plus « rien » après.
Tout fonctionnement étatique est à bannir. Cela marche à tout les niveaux. Arrêtons avec nos « représentant-e-s », nous sommes toutes et tous les représentant-e-s de notre mouvement.
L'approche écologique ne peut être qu'anti-capitaliste, sinon elle se contente de gérer les catastrophes. Nous avons trop souvent oublié cela.
L'écologie doit être débarrassée du capitalisme et le socialisme du productivisme. Oui, mais encore ? Nous devons exiger de nous que nous trouvions le chemin de l'émancipation de ces schémas trop souvent bloqués par les échéances électorales.
Ainsi, disons clairement et définitivement : la sociale-démocratie est non seulement une impasse mais surtout une illusion. C'est un écran de fumée balancé à coup de PIB et « politique de l'offre ».
Nous ne voulons plus cela, nous voulons contrôler notre vie ! Nous avons trop souvent pardonnés, laissés courir voire même accompagnés cette sociale-démocratie qui est, disons-le clairement, notre adversaire. Nous avons d'autres adversaires politiques, la droite et l'extrême-droite, mais la sociale-démocratie est un adversaire qui a l'apparence de l'ami.
Nous voulons contrôler tous les moyens de production, d'énergie et de la finance. La fin de ces propriétés privées est une exigence essentielle. Pourquoi ne le disons-le pas clairement ?
Le rapport au travail doit aussi être profondément modifié, le syndicalisme doit donc aussi se transformer et retrouver ses revendications telles que la baisse du temps de travail et la fin du salariat. L'instauration d'un revenu universel minimal doit être discutée, celle d'un revenu maximal imposée.
Le féminisme doit retrouver sa place au cœur de nos actions, car le féminisme est une lutte contre la domination, car le féminisme est aussi une lutte pour la dignité humaine.
Et nous devons lutter autrement !
Cessons de nous apitoyer sur nos défaites !
Ayons enfin une stratégie des luttes sans avoir peur de la victoire !
Il ne s'agit plus de seulement porter la convergence des luttes, il s'agit de la mettre en œuvre. Nous avons une chance historique : le dérèglement climatique met en lumière les contradictions du capitalisme et du productivisme. Profitons-en !
Disons clairement que la question écologique est profondément politique et source de convergence !
Disons clairement que cette question est franchement internationaliste ! Elle permet de retrouver un sens aux mots solidarité et fraternité.
Ni croissance, ni austérité : solidarité et fraternité !
Il y urgence : le désastre est là. Les barbares ont gagné de nombreuses batailles. Mais nous sommes encore debout !
Parlons énergie renouvelables. Disons que les énergies fossiles ne doivent plus être utilisées. Disons que les leurres tels que les agrocarburants ne sont que des fantasmes pour nous divertir.
Disons que seule la baisse de la demande énergétique est la condition de notre survie. Et donc la décroissance nette. Et donc un autre rapport aux transports et aux déplacements.
Annulons les dettes, remboursons en fait la dette climatique des pays « riches » envers les pays « pauvres ».
Faisons des technologies « vertes » un bien universel, gratuit.
Garantissons la gratuité des services (énergie, eau, transports, éducation...) gérés par des régies publiques de proximité. Supprimons l’État.
La riposte bourgeoise sera violente. A voir comment elle a réagit aux révoltes Syriza et Podemos, que dira-t-elle face à un monde autogéré et décentralisé ?
Elle utilisera tous ces moyens pour nous détruire. C'est bien normal : nous voulons la détruire.
Mais ce sera notre salut, ce sera le salut des peuples de la Terre, face à cette barbarie qui s'est installée.
Si nous étions en 2015, alors que le gouvernement Hollande programmait un certain nombre de catastrophes aujourd'hui mises en œuvre, je dirais : réunissons-nous, préparons ensemble les élections de 2017 dans un même mouvement. Organisons à l'occasion de la COP21 un grand mouvement écosocialiste : le calendrier est pour nous puisque les élections régionales ont lieu au même moment et que les dérèglements s'accélèrent, et que l'humiliation du peuple grec a montré que l'on ne pouvait rien attendre des forces de l'ordre.
Si nous étions en 2015, je vous dirais que nous avons encore de quoi éviter la barbarie qui vient.
Matthieu Brabant, à Montpellier, le 27 juillet 20XX.