Face à Manuel Valls, tensions sociales et recomposition politique

Les résultats des élections municipales et européennes ont bouleversé le paysage politique. En nommant Manuel Valls comme Premier ministre après avoir reçu un désaveu massif des électeurs, François Hollande a envoyé un message clair et net : il ne changera pas de cap. Il est déterminé coûte que coûte, en s’appuyant sur tous les leviers de la Ve république, à poursuivre et à mettre en œuvre la politique de l’offre pro patronale qu’il a engagée. Le lien entre les aspirations des électeurs qui ont voté François Hollande en mai 2012 et ce qui pouvait être attendu d’un gouvernement de gauche est rompu. Cette évolution est en tant que telle un élément nouveau de la situation politique qui va produire des effets multiples dans la durée. De premiers symptômes se sont manifestés avec d’une part le retour de mobilisations collectives de secteurs sociaux contre les réformes libérales et d’autre part la fragilisation de la majorité parlementaire. 

Des conflits sociaux

Les semaines qui ont suivi les élections européennes ont été marquées par deux conflits sociaux qui ont occupé massivement l’actualité : la lutte des cheminots contre une réforme de la SNCF qui renforce son éclatement en plusieurs entités et la mobilisation des intermittents contre l’agrément d’un accord qui remet en cause leurs droits sociaux. Ces deux conflits, même s’ils ont rencontré d’importantes difficultés, ont marqué le retour à la mobilisation collective, comme moyen de se défendre face à la dégradation sociale. D’une certaine façon, la lutte des sages-femmes engagée en janvier-février 2014 avait été le précurseur de ce changement de climat social. L’effervescence croissante des milieux universitaires en constitue un autre indice. Cela ne présage nullement d’une « remontée des luttes » ou non, mais ces mouvements contribuent à modifier la situation sociale et politique. L’isolement de la lutte des cheminots montre les difficultés des conditions actuelles de mobilisation. Mais l’impopularité de la grève des agents de la SNCF n’a pas reposé sur une approbation du fond de la réforme – dont les enjeux ont été peu perçus à une large échelle – mais a révélé une intériorisation des défaites subies, un doute sur l’utilité de la mobilisation – qui est avant tout perçue comme un « désagrément ». Les secteurs qui se mettent en lutte aujourd’hui font face à une double difficulté : ils se confrontent en même temps au « consensus libéral » et à un repli sur soi, une passivité, sur lesquels les forces réactionnaires s’appuient pour mener notamment de violentes campagnes antisyndicales.

Des ruptures politiques

Sur le champ politique, des ruptures importantes se sont produites. D’abord avec le départ d’Europe Écologie du gouvernement, ce qui ouvre une période de débat crucial pour cette formation politique. Ensuite avec l’émergence d’une contestation plurielle au sein du groupe parlementaire socialiste. Plusieurs initiatives de débats, de rencontre en juin 2014 ont permis de poser des jalons pour engager un dialogue nécessaire entre le Front de gauche, Europe Écologie et les secteurs socialistes qui critiquent l’orientation de Manuel Valls. Ces positions se sont traduites par des votes communs sur des amendements au projet de loi de finances rectificatif (PLFR), mais il reste encore du chemin à parcourir pour construire un rassemblement des forces de gauche contre la politique d’austérité. Le choix des députés d’Europe Écologie et des socialistes de gauche de soutenir, d’une part, la réforme ferroviaire et, d’autre part, le PLFR (en s’abstenant par contre sur le budget rectificatif de la Sécurité sociale présenté début juillet 2014) a considérablement amoindri la portée de la confrontation politique qui s’est engagée au sein de la gauche. Mais ce n’est que le début d’un échange qu’il est essentiel de poursuivre. Pour cela, compte tenu des décalages de rythmes respectifs entre chaque courant politique liés aux échéances partidaires (congrès d’Europe Écologie, congrès du Parti socialiste en 2015…), développer les initiatives communes doit se faire pas à pas. Deux enjeux majeurs peuvent permettre d’avan-cer, sans s’engager a priori dans une construction électorale qui risque de paralyser : d’abord en multipliant les prises de position commune sur des questions particulières (emploi, éducation, transition énergétique…) pour rendre visible dans l’opinion que la politique d’austérité n’est pas la seule possible. Ensuite en prenant le temps de travailler sur le fond du projet politique et de la politique que nous pensons nécessaire de mettre en œuvre (Quelle VIe République ? Quelle Europe voulons-nous ? Etc.) pour vérifier si des socles communs peuvent se dessiner.

Pour un Front de gauche  fort et ouvert

Le Front de gauche, même s’il sort d’une séquence difficile, doit se donner les moyens d’initier de tels échanges et de s’adresser à toutes les forces susceptibles d’en être parties prenantes. Le processus engagé à la suite de la marche du 12 avril contre l’austérité démontre que des forces sociales et politiques sont disponibles. Mais pour cela, il doit développer ses propres initiatives, construire son propre agenda pour contribuer aux dynamiques populaires nécessaires pour porter des perspectives de transformations sociales et écologiques. Redonner un nouvel élan au Front de gauche est indispensable ;

François Calaret. Publié dans le bulletin d'Ensemble des mois de juillet et août 2014.

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