Gauche : une rentrée à droite toute !

Entre les déclarations intempestives de Macron, son prétendu « recadrage » par Valls, l’Université d’été des frondeurs, celle des « Réformateurs du PS », celle du PS lui-même, puis les départs d’EE-LV de François de Rugy et Jean-Vincent Placé, les commentateurs s’en sont donné à cœur joie sur le thème la gauche dispersée « façon puzzle ». Certes, cette appréciation ne manque pas de pertinence, mais elle fait l’impasse sur l’essentiel : ces quelques jours de rentrée politique illustrent surtout, en accéléré, une nouvelle étape de la dérive chaque jour plus affirmée de la gauche institutionnelle. Revue de détails…

La séquence a commencé avant même la traditionnelle Université d’été du PS à la Rochelle, puisque cette dernière a été précédée d’initiatives particulières organisées par divers courants. Ainsi, grâce à la venue de Yanis Varoufakis, Arnaud Montebourg a assuré le succès médiatique de sa Fête de la rose de Frangy, sans pour autant dégager de perspectives politiques un peu concrètes. Les courants de gauche du PS et les frondeurs ont tenu leurs propres assises à Marennes pendant que les « réformateurs » à se réunissaient à Léognan.

A Marennes, les divers dirigeants socialistes de gauche, un peu sonnés par leur récente défaite lors du congrès du PS, ont également eu quelque peine à définir une orientation. Certes, ils ont tiré la sonnette d’alarme en indiquant que cette rentrée politique était un peu celle de la dernière chance. Le dernier moment, selon eux, avant que la gauche n’aille à l’élection présidentielle en ordre dispersé. La dernière occasion de « réorienter » la politique gouvernementale… Du coup, on reste dubitatif tellement il existe un fossé entre la (relative) lucidité du diagnostic – en gros, les frondeurs annoncent la catastrophe à venir en 2017 – et l’extrême timidité des remèdes proposés qui, si l’on a bien compris, se limitent à une proposition : réorienter à la marge le pacte de responsabilité, en restituant aux « ménages » et aux collectivités locales une petite partie des 40 milliards de cadeaux fiscaux prévus pour les entreprises. Certes, fin juillet, cette idée a été reprise, formellement et sous une forme encore plus édulcorée, par la direction du Parti socialiste. Mais, depuis, elle a reçu une fin de non-recevoir sans appel de la part du gouvernement, ce qui devrait quand même interpeller la gauche du PS sur la crédibilité d’un combat qui se limiterait au cadre du PS. En affirmant dans la même déclaration « s’il devait y avoir une primaire à gauche, je n’exclus pas d’y participer » mais aussi « il faut sortir des grilles de lecture traditionnelles et se demander, si aux yeux des Français, le clivage gauche - droite a encore du sens », Benoît Hamon témoigne de ces difficultés de positionnement.

A Léognan, la réunion des « réformateurs » du PS a surtout été l’occasion de faire un triomphe à Emmanuel Macron. Le Ministre de l’Economie et des Finances a pu y développer ses thèmes favoris, notamment l’archaïsme du code du travail. Ce fut surtout l’occasion pour lui de tester, devant des « socialistes » gagnés depuis longtemps au néo-libéralisme, le discours… qu’il devait présenter le lendemain à l’Université d’été du MEDEF. Où, d’ailleurs et sans surprise, il s’est taillé un franc succès en allant au-devant des désirs des patrons. Quitte à s’en prendre sans trop de précaution aux 35 heures…

Pourtant, s’agissant de la durée du temps de travail, les patrons disposent d’ores et déjà de toute une panoplie d’assouplissements et de dérogations qui leur permettent de moduler à loisir la durée réelle de la semaine de travail. Mais il est vrai que, quelle que soit la durée réelle, la durée légale continue à être le seuil dont le dépassement déclenche le paiement d’heures supplémentaires.  Et, surtout, la remise en cause des 35 heures demeure un marqueur idéologique pour la droite comme pour le patronat. Donc, même s’il n’y a plus vraiment d’enjeu, un homme de gauche qui dénigre les 35 heures est assuré de faire un tabac chez les patrons !

Les explications de la « sortie » de Macron sur ce sujet ne manquent pas et, d’ailleurs, ne s’excluent pas forcément. D’abord, sans l’ombre d’un doute, Macron exprime sa conviction profonde : il faut en finir avec toutes ces « bêtises » que constituent les acquis sociaux ! Et sa déclaration sur les 35 heures est peut-être aussi un ballon d’essai pour de futurs projets de destruction des protections sociales. Ensuite, par ses différentes initiatives - présence à la réunion des « réformateurs » du PS, présence à l’Université d’été du MEDEF, discours  provocateur sur le temps de travail - il cherche sûrement à peser sur la mutation de la gauche gouvernementale, tant il est vrai que ce sont aujourd’hui les partisans de la rupture des derniers liens avec le mouvement ouvrier qui sont à l’offensive. Enfin, les déclarations de Macron auront aussi permis à Manuel Valls, contraint de « défendre » les 35 heures, d’essayer de passer pour un homme de gauche. C’est dire…

Si l’on écarte les envolées lyriques à prétention humaniste et républicaine qui ont émaillé le discours de Manuel Valls clôturant l’Université d’été du PS, on peut en essentiellement retenir sa réaffirmation sans aucune ambiguïté qu’il n’y aura aucune inflexion ni réorientation du pacte de responsabilité puisque… « les entreprises ont besoin de stabilité pour embaucher ».

En finir avec le code du travail

Mais, surtout, Valls a annoncé en fanfare la prochaine attaque gouvernementale contre les classes populaires : la « réforme » - en fait, la destruction – du code du travail. A l’évidence, l’on a désormais affaire à une véritable campagne qui commence par la mise en condition de l’opinion, campagne qui s’articule sur de nombreuses initiatives concordantes.

Il y eu, d’abord, le discours de Macron devant les réformateurs du PS. Puis, changement d’échelle, celui de Manuel Valls à la Rochelle. Immédiatement, les grands médias ont repris en boucle les considérations grossières et dignes du Café du commerce sur un Code du Travail qui serait trop volumineux, boursouflé, incompréhensible, ne protégeant pas vraiment les salariés tellement il serait compliqué… Ces commentateurs ignorent probablement que, tout faible qu’il soit, le mouvement syndical a produit ses propres « experts » en droit du travail : quelques milliers de « défenseurs du salarié » et de conseillers prud’homaux (près de 15.000). Mais il est vrai que la justice prud’homale est également dans le viseur des sociaux-libéraux qui, toujours au nom de la « stabilité » dont doivent pouvoir bénéficier les patrons, ont essayé de limiter ses prérogatives.

Qu’importe : pour le gouvernement, la droite, le MEDEF, la direction de la CFDT, le pouvoir médiatique, il s’agit de mettre en scène un prétendu consensus sur l’urgente nécessité de « réformer » le code du travail. Dans le cadre de cette campagne, il n’est pas superflu de faire appel à des experts qui, naturellement, déclineront à l’envi les mêmes idées reçues.

Ainsi, coup sur coup, deux rapports jumeaux viennent d’être publiés sur ce sujet : celui de l’Institut Montaigne, ouvertement libéral et pro-patronal, et celui de la Fondation Terra Nova.  Ce think tank prétendument de gauche s’était illustré il y a quelques années par une étude – « Gauche : quelle majorité pour 2012 » - suggérant au Parti socialiste de se chercher une base sociale de rechange. Vu que, de toute façon, les ouvriers et les chômeurs seraient enclins à voter pour le Front national… Cette fois, sous prétexte de « Réformer le Code du Travail » - c’est le titre du rapport réalisé pour Terra Nova – et de donner la priorité à la négociation d’entreprise, il s’agit ni plus ni moins que de promouvoir une véritable contre-révolution juridique. Aujourd’hui prévaut le principe de la hiérarchie des normes : la loi (le Code du Travail) l’emporte sur les accords interprofessionnels qui l’emportent sur les accords de branche qui, eux-mêmes, l’emportent sur les accords d’entreprise, sauf si ces derniers sont plus favorables aux salariés. C’est cela que veulent remettre en cause tous les partisans de la « réforme du code du travail » : faire prévaloir les accords d’entreprises, renvoyer les négociations aux rapports de force locaux, marqués par la faiblesse (ou la complaisance) de syndicats d’entreprise soumis au chantage à l’emploi. Il ne s’agit pas seulement du temps de travail ou des conditions de travail. Mais, aussi, des salaires. Ainsi, dans une interview à Libération (4/09/2015), Gilbert Cette, l’un des auteurs du rapport, ne se fait pas prier pour vendre la mèche : « pourquoi ne pas imaginer un SMIC qui varie en fonction de l’âge ou encore de la région ? » Pourquoi d’ailleurs s’arrêter en si bon chemin ? Le « SMIC » pourrait tout aussi bien varier en fonction de la branche professionnelle… ou même de l’entreprise. Autrement dit, il n’y aurait plus de SMIC !

En 2014, la rentrée de la gauche s’était faite à l’Université du MEDEF où Manuel Valls avait déclaré  qu’il « aimait l’entreprise ». Cette année, elle se fait donc sur l’annonce, en des lieux divers, de nouvelles attaques contre les droits sociaux.

Et pendant ce temps, à EELV…

L’autre événement marquant de la rentrée à gauche est évidemment le nouvel épisode de la crise des écologistes avec le départ d’Europe Ecologie – Les Verts de François de Rugy et de Jean-Vincent Placé. Ces départs ont sûrement beaucoup à voir avec des ambitions ministérielles non dissimulées. Mais ils témoignent également de réelles divergences politiques, aussi bien en ce qui concerne le contenu des politiques à conduire que de la stratégie d’alliance.

De ce point de vue, les déclarations des deux protagonistes de l’opération ne se contentent pas de dénoncer la « dérive gauchiste » d’EE-LV et de contester son choix imposé par Cécile Dufflot de quitter le gouvernement. François de Rugy prétend que les écologistes devraient « se recentrer sur l’écologie ». Mais, dans une interview à I-Télé, il se définit comme étant de « centre gauche » ; il plaide le retour au gouvernement, pour une alliance privilégiée avec le PS et en profite, lui aussi, pour défendre les « entrepreneurs », tellement nécessaires à la mise en œuvre de la transition énergétique. Il reprend désormais, sans autocensure, les thèses du capitalisme vert. L’étape suivante devrait être la fondation d’un nouveau mouvement politique avec des transfuges du MODEM, sous l’œil bienveillant de l’Elysée et des hiérarques socialistes. Et tout ça pour rentrer dans un gouvernement en perdition ! Triste équipée…

A l’inverse, quelles que soient les arrière-pensées qui ont pu présider au départ d’EE-LV du gouvernement, cette décision a ouvert un débat d’orientation politique parmi les écologistes et créé la possibilité de convergences avec la gauche radicale. Pour autant que la nécessaire autonomie par rapport au Parti socialiste ne soit pas seulement un argument de campagne électorale, mais une stratégie de long terme

François Coustal

 

 

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