"Go, Bernie, Go !"

Ou comment un 'jeune' de 74 ans est en train de bousculer le système politique aux Etats-Unis...
La campagne des présidentielles aux Etats-Unis a officiellement commencé avec les deux premières primaires, du côté des Républicains comme des Démocrates, dans l’Iowa le 1er février et le New Hampshire le 9 février.
Le succès rencontré par la candidature de Bernie Sanders (74 ans) est évidemment une excellente nouvelle, mais nous pose le même type de problème (avec bien sûr des différences importantes liées aux différentes traditions politiques) que celui de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne ou de Podemos en Espagne.
Ces mouvements électoraux de gauche traduisent sans aucun doute une conscience accrue des limites de la politique traditionnelle et des méfaits des politiques libérales poursuivies à la fois par la droite conservatrice et la ‘gauche’ social-démocrate depuis plusieurs décennies. C’est ce sentiment qu’espère capter aussi Jean-Luc Mélenchon, qui vient d’annoncer sa candidature à la présidence de la république française, en dehors du système des partis (y compris d’ailleurs de ses partenaires dans le Front de Gauche et même de sa propre organisation, le parti de Gauche).
Mais toutes ses campagnes ont des limites importantes et des caractéristiques qui nécessitent une grande lucidité de notre part. Dans le cas de Sanders, c’est surtout son apparent ralliement à l’idée que tout changement radical du système doit passer par le Parti démocrate (auquel il n’a adhéré qu’en 2015) qui pose problème – alors que ce parti est depuis toujours un des deux piliers d’un système politique qui sert à préserver les intérêts des classes dominantes.
Il est vrai que les critiques du système par Sanders vont beaucoup plus loin que celles de Barack Obama lors de sa première campagne en 2008. Son engagement pour des causes progressistes, du droit à l'IVG aux droits civiques, n'est pas en doute. Mais rien ne laisse supposer que sa « révolution politique » suffira, dans le cas où il sera élu (ce qui est loin d’être acquis), pour mettre fin à cette domination. Son modèle paraît être celui de la social-démocratie scandinave et il cite favorablement la politique économique et sociale des présidents démocrates F.D. Roosevelt (1933-1945) et L.B. Johnson (1963-69).
La victoire éclatante, surprenante par son ampleur, du sénateur des Etats-Unis, représentant l’Etat de Vermont, Bernie Sanders, un candidat qui se définit comme un « socialiste », lors des primaires démocrates dans le New Hampshire (petit Etat du nord-ouest) a exposé les failles du système politique de la plus grande puissance économique et militaire mondiale.
Avec 60 pour cent des suffrages, Sanders a battu la candidate de l’establishment, Hilary Clinton, de pas moins de 20 points. Son avance est encore plus importante chez les électeurs démocrates les plus jeunes (plus de 80 pour cent des moins de 30 ans ont voté pour lui) et les plus pauvres.
Hilary Clinton, quant à elle, n’est arrivée en tête que parmi les électeurs de plus de 65 ans et les plus riches. En effet, Sanders a eu beau jeu de souligner les liens étroits, y compris pécuniaires, qui existent entre l’ancienne première dame et plusieurs grandes entreprises capitalistes. (Comme l’ancien président français Nicolas Sarkozy et l’ancien premier ministre britannique, Tony Blair, et tant d’autres, elle se fait régulièrement payer des honoraires mirobolants pour donner des conférences et autres tâches ‘onéreuses’.)
Lors de son discours devant ses partisans après l’annonce des résultats, Sanders a déclaré que la dynamique créée par son bon score dans l’Iowa la semaine précédente et sa victoire dans le New Hampshire constitue « rien de moins que le début d’une révolution politique [qui] rassemblera des dizaines de millions de nos concitoyens ».
En écho à une chanson célèbre de Woody Guthrie, il rajouta que « nous avons envoyé un message qui résonnera de Wall Street à Washington et de l’Etat de Maine à la Californie – l’idée que le gouvernement de notre grand pays appartient au peuple entier et non à une poignée de riches qui financent les campagnes présidentielles ».
Selon la chaîne CNN, « En moins d’un an, la quête désespérée de Sanders est devenue une menace sérieuse pour les chances de Clinton d’obtenir la nomination du parti démocrate ».
En réponse à cette menace, Clinton a essayé dans les derniers jours de la campagne du New Hampshire de « gauchir » son discours. Signe de la faiblesse de ses arguments, elle a prétendu qu’elle était la candidate anti-establishment parce qu’elle était une femme.
Clinton a accuelli avec enthousiasme le soutien de Madeleine Albright, qui fut en tant que secrétaire d'Etat (ministre des affaires étrangères) dans le gouvernement de Bill Clinton entre 1997 et 2001 l’architecte des sanctions contre l’Irak qui ont tant fait souffrir la population de ce pays. Albright s'est notamment ridiculisée en affirmant qu’ « Il y a une place réservée en enfer pour les femmes qui ne s’entraident pas »
Cette tactique a complètement échoué, car Sanders a reçu le soutien de 55 pour cent des votantEs.
Cet enthousiasme pour Sanders a également été reflété dans le niveau record de participation à ce scrutin. Et en fin de compte, le candidat « socialiste » a fait mieux que le candidat Barack Obama, dont la campagne était alors en plein essor, en 2008.
De notre point du vue, la politique défendue par Sanders est moins à gauche qu’on suppose parfois. Ses critiques de la politique étrangère des Etats-Unis sont partagées par bon nombre de dirigeants européens de droite comme de gauche. Il a, par exemple, décrit les bombardements israéliens de Gaza comme "disproportionnés" et aptes à renforcer le soutien des Gazaouis au Hamas - une position qui ressemble à celle adoptée par les principaux gouvernements de l'Union Européenne. Il s'aligne parfois sur des aspects de la politique impérialiste des Etats-Unis.
Mais en même temps Sanders est le symptôme de la contestation qui a produit les mouvements Occupy Wall Street en 2011 et Black Lives Matter plus récemment – sans oublier quelques signes d’une remontée de l’action ouvrière et le mouvement contre le changement climatique.
C’est ce fait qui importe aujourd’hui : la politique traditionnelle est affaiblie, et des millions de citoyens américains cherchent une alternative.
Cependant, lors de son discours du New Hampshire, Sanders a également souligné sa volonté d’unir ses forces avec celles de Clinton à l’avenir.
« Nous devrons, déclara-t-il, nous rassembler dans quelques mois afin d’unir ce parti et ce pays parce que nous ne devons pas permettre aux Républicains de droite de gagner lors de l’élection présidentielle [en novembre 2016] »
Cela signifie qu’il accepte de rester dans les bornes imposées par le Parti démocrate, qu’on peut caractériser sans équivoque de parti capitaliste.
Chez les Républicains, la même tendance de rejet de la politique traditionnelle s’est manifestée avec la victoire impressionnante du milliardaire brutal et star de la ‘reality TV’, Donald Trump. Celui-ci n’a jamais été élu et prétend être étranger à l’establishment politique. Mais en réalité il suit de façon servile les intérêts des grandes entreprises capitalistes et de la hiérarchie militaire. Son racisme populiste - et notamment islamophobe - sert à tirer le débat politique vers la droite.
Selon les sondages à la sortie des urnes dans le New Hampshire, 66 pour cent des votants chez les Républicains étaient d’accord avec la proposition de Trump d’interdire aux Musulmans l’entrée aux Etats-Unis. Trump a également défendu l'utilisation de la torture par les services américains.
Ses résultats dans l’Iowa et le New Hampshire, ainsi que les sondages nationaux, font de lui le favori des primaires républicaines et les efforts des notables du parti pour trouver un concurrent sérieux (après le retrait de Carly Fiorina il n'y a plus de concurrentEs) capable d’unir l’opposition au milliardaire 'fou' ont jusqu’à présent échoué. Trump a été battu de peu dans l’Iowa par le sénateur texan, Ted Cruz, mais celui-ci est trop proche des milieux évangéliques et trop droitier (il est parmi les figures marquantes du Tea Party) pour être acceptés par les Républicains les moins réactionnaires – et celui-ci a terminé en troisième position dans le New Hampshire derrière Trump et un autre outsider, le gouverneur de l’Ohio, John Krasich.
Les prochaines primaires auront lieu le 20 février dans le Nevada, le 27 février en Caroline du Sud et le 1er février (le Super Tuesday) dans une douzaine d’Etats, dont beaucoup sont situés dans le Sud conservateur et religieux (en plus de l'Alaska de Sarah Palin).
NOTE
Cet article est pour l’essentiel la traduction d’un article de Charlie Kimber paru dans Socialist Worker (Grande-Bretagne), n° 2490, du 10 février 2016.