La Commune est en lutte (Deuxième partie)

La première partie est ici :
https://www.ensemble-fdg.org/content/la-commune-est-en-lutte
Épisode 7 : le 18 Mars 1871
Le 18 Mars 1871, le gouvernement décide de passer à l’action. Le problème est moins l’importance stratégique des canons que de montrer qui décide vraiment à Paris. Alors qu’il fait encore nuit, vers 3 heures du matin, l’armée régulière tente de s’emparer des canons dans la plupart des endroits où les membres de la Garde nationale les ont rassemblés : les Buttes-Chaumont, Belleville, le Faubourg du Temple, la Bastille, l’Hôtel de ville. Au début, l’opération se déroule bien : c’est la nuit, il n’y a personne. Mais il ne suffit pas de s’emparer des canons ; il faut encore les enlever et les déplacer, ce qui va prendre du temps. Ce temps va être utilisé par la foule pour organiser la riposte.
Alors que le jour se lève aux Buttes-Chaumont, l’armée est entourée par la foule essentiellement composée de femmes qui empêchent l’évacuation des canons. Malgré les ordres, les soldats refusent de tirer pour disperser la foule ; ils mettent crosse en l’air et fraternisent avec les manifestants. Dans le Marais, par trois fois le Général Lecomte - l’un des dirigeants militaires de Paris - donne l’ordre de tirer. Par trois fois, les soldats refusent de tirer. Finalement, la foule le fait prisonnier ainsi que ses officiers. Ses soldats veulent le fusiller. Les Gardes nationaux arrivent et conduisent le général au quartier-général des bataillons de la Garde nationale, à Montmartre. En réalité, il sera quand même exécuté avec un autre général dans l’après-midi. Dans différents quartiers de Paris, des échanges de feu se produisent, ainsi que de nombreuses scènes de fraternisation entre les soldats de l’armée régulière, ceux de la Garde nationale et la foule parisienne qui se rassemble en divers lieux.
Adolphe Thiers organise le repli des troupes restées fidèles, d’abord sur la Rive Gauche, au Quai d’Orsay. Puis, à la fin de la journée, il va s’enfuir à Versailles avec son gouvernement. Lissagaray décrit ainsi la situation : « à la fin de la matinée, à 11 heures, le Peuple a vaincu l’agression sur tous les points, conservé presque tous ses canons - les attelages n’en n’ont emmenés qu’une dizaine – gagné des milliers de fusils. Les bataillons fédérés sont debout ; les faubourgs se dépavent ». Et, en effet, des barricades se dressent dans la plupart des quartiers de l’Est parisien. D’ailleurs, dans un premier temps, la foule mobilisée et les Gardes nationaux décident de rester dans les quartiers pour les défendre, car ils craignent un retour de l’armée.
Finalement, un phénomène couronne cette journée : Émile Heu, un révolutionnaire blanquiste, parvient à entraîner les manifestants et les bataillons de gardes nationaux qui sont à Belleville sur la Rive Gauche. Émile Duval, autre blanquiste, également membre du Comité central républicains des vingt arrondissements va entraîner les bataillons du V° et du XIII° arrondissements. Aux Batignolles, c’est Eugène Varlin, grande personnalité de la Commune, membre de l’Association Internationale des Travailleurs, fait de même. Les cortèges convergent vers l’Hôtel de ville qui est occupé en début de soirée, de même que les Ministères, la Préfecture de police et l’ensemble des lieux institutionnels qui incarnent le pouvoir.
Le Comité central de la Garde nationale s’installe à Paris et constitue, de fait, un pouvoir insurrectionnel. Ce qui vient d’advenir ce 18 mars n’est nullement une insurrection planifiée, anticipée, voulue et organisée par un quelconque état-major révolutionnaire. Au contraire, au moment décisif, au début de la journée, quand la foule a entouré les soldats venus enlever les canons, ni les révolutionnaires, ni ceux proches de Blanqui, ni ceux de l’Association internationale des travailleurs, ni les membres du Comité central républicain des vingt arrondissements, ni même ceux nouvellement élus du Comité central de la Garde nationale, ne sont présents. C’est une foule sans organisation, sans consignes, sans dirigeants qui prend l’initiative de ce qui est, de fait, un soulèvement. Ce n’est que plus tard, dans la journée, que les militants, les gardes nationaux organisés, vont faire converger l’énergie populaire vers le centre du pouvoir, l’Hôtel de ville.
Ce 18 mars n’est pas une insurrection planifiée ; par contre c’est bien une insurrection ! Les bataillons de l’armée régulière envoyés par le gouvernement ont, pour une partie d’entre eux, fraternisé avec la foule. Certains se sont disloqués et d’autres encore ont quitté Paris. Le gouvernement lui-même est réfugié à Versailles. Existe donc ce que traditionnellement on désigne comme une « carence de pouvoir ». D’une certaine manière, ceux qui siègent à l’Hôtel de ville sont devenus - de manière consciente ou à leur corps défendant – un nouveau pouvoir né d’une insurrection. Ce pouvoir est aux mains du Comité central de la Garde nationale. Situation qui appelle quelques explications…
Le Comité central de la Garde nationale est une structure récente, quasiment embryonnaire. Tous les bataillons n’y sont pas encore représentés, le sélections n’ayant pas encore eu lieu dans tous les arrondissements. Pour expliquer ce phénomène, on peut se référer aux éclairages de deux historiens : Jacques Rougerie, un historien contemporain, spécialiste de la Commune, auteur nombreux ouvrage sur le sujet, dont « Paris libre, 1871 ». Il conclut son évocation de la journée du 18 mars ainsi : « Vers minuit, le Comité central de la Garde nationale s’installe à l’Hôtel de ville moins probablement à cause du rôle réduit qu’il vient de jouer que parce qu’il était à ce moment-là la seule organisation constituée et qui eût sinon des intentions bien arrêtées, du moins quelque audience. »
L’autre éclairage est celui de P-O Lissagaray : « Le Comité se constituait heureusement de nouveaux venus, sans passé ni prétentions politiques, fort peu soucieux des systèmes, mais préoccupés uniquement de sauver la République. A cette hauteur vertigineuse, ils n’eurent pour les soutenir qu’une idée, mais une idée logique, parisienne par excellence : assurer à Paris sa municipalité libre ». C’est bien sur ce tout nouveau Comité central de la Garde nationale que reposent toutes les responsabilités. Dans cette soirée du 18 mars, dans quelle direction va-t-il engager le processus ? Le mouvement va-t-il refluer, comme souvent ? Ou, au contraire, se consolider ? Quelles seront les premières mesures prises ?
Au cours de la semaine du 19 au 26 mars, la situation va se dénouer de manière décisive.
Épisode 8 : les premiers jours de la Commune
Le 18 mars, l’insurrection a donc installé un nouveau pouvoir, celui du Comité central de la Garde nationale. Mais ce nouveau pouvoir est loin de s’assumer comme tel. Dès le lendemain, il manifeste sa volonté de remettre son pouvoir à une autorité qui soit plus légitime. Ce souci va se matérialiser dans deux directions, par l’organisation d’élections communales à Paris et, d’autre part, par la recherche d’un compromis avec les autorités existantes.
Sur le premier point, les déclarations du Comité central de la Garde nationale sont sans ambiguïté. Il considère que, à travers le mouvement de fédération des bataillons de la garde nationale, il avait de fait reçu un mandat de la part du peuple parisien : défendre la République et les libertés communales parisiennes. Le 19 mars, la situation est la suivante : Paris a conservé ses canons et le gouvernement Thiers s’est enfuit à Versailles. Le Comité central considère donc que le mandat est rempli. Il affirme : « notre mandat est expiré et nous vous le rapportons , car nous ne prétendons pas prendre la place de ceux que le souffle populaire a chassé. Préparez-donc et faites de suite vos élections communales ! ».
Assez logiquement, le nouveau pouvoir de fait va chercher la conciliation. Pas directement avec le gouvernement, mais avec les maires (maire, maires-adjoints, maires d’arrondissements) et députés de Paris. En s’enfuyant de Paris, le gouvernement Thiers leur a confié l’administration des pouvoirs publics à Paris, avec la légitimité de l’exercice du pouvoir. Le 19 mars, il y a deux réunions en parallèle : d’une part, le Comité central de la Garde nationale siège à l’Hôtel de ville pendant que, autour de Clémenceau, certains députés parisiens et les maires-adjoints siègent à la mairie du III° arrondissement.
En pratique, même s’il refuse de se considérer comme un gouvernement, le Comité central commence quand même à prendre des décisions de nature politique et à légiférer. Il abolit les conseils de guerre ; il décrète l’amnistie totale pour les crimes et délits politiques. Il ordonne aux directeurs des prisons de libérer les prisonniers politiques. Simultanément, il envoie des délégués à la réunion des maires et députés. Et ces délégués, dont Eugène Varlin, leur demandent de servir en quelque sorte d’intermédiaires entre ce qui n’est pas encore la Commune et l’Assemblée nationale (et le gouvernement) pour obtenir la satisfaction de leurs revendications : de nouvelles élections municipales à Paris, la suppression de la Préfecture de police, le doit pour la Garde nationale d’élire ses officiers. Mais aussi la remise des loyers et le retrait de l’armée régulière loin de Paris.
La discussion fait rage au sein de ces réunions. Les députés indiquent finalement le prix de leur médiation : les Insurgés doivent rendre l’Hôtel de ville. Signe de la confusion qui règne dans le camp des Insurgés : Eugène Varlin, un authentique révolutionnaire, accepte le marché. Mais dès le 20 mars, sous l’impulsion des blanquistes et de membres du Comité républicain des vingt arrondissements, on assiste à un retournement de situation au sein du Comté central de la Garde nationale : « Citoyens, n’écoutez pas les promesses perfides ! Vous avez repris vos canons, gardez-les ! Vous avez l’Hôtel de ville, gardez-le ! »
A Versailles, le même jour, Clémenceau propose à l’Assemblée de discuter en toute urgence de l’organisation d’élections municipales à Paris et de réfléchir à des modalités différentes d’élection des officiers de la garde nationale. A Paris, sans attendre l’autorisation de l’Assemblée nationale, le Comité central de la Garde nationale fixe l’élection municipale au 22 mars. Le processus révolutionnaire est en train de se radicaliser. Si les acteurs du processus n’en sont pas forcément conscients, comme c’est souvent le cas en pareilles circonstances, la contre-révolution, elle, ne s’y trompe pas.
A Versailles, on commence à tenir des discours de combat. Ainsi, Jules Favre, pourtant républicain, déclare : « Est-ce que ce n’est pas la guerre civile, ouverte, lâche, accompagnée de meurtres et de pillages dans l’ombre ? Est-ce que nous ne savons pas que les réquisitions ont commencé, que les propriétés privées vont être violées ? » En appui à ces déclarations belliqueuses, une première manifestation de ceux qui s’appellent les « amis de l’ordre » est organisée dans le quartier de l’Opéra. Comme le climat est agité, les élections sont repoussées, d’abord au 23 mars, puis au 26 mars. Les révolutionnaires les plus déterminés commencent à craindre que, de report en report, on ne fasse le jeu du gouvernement de Versailles qui, lui, cherche à gagner du temps pour organiser la contre-offensive. Le 22 mars, a lieu une nouvelle manifestation des « amis de l’ordre ». Des bataillons fidèles au gouvernement reprennent à la Garde nationale la mairie du IX° arrondissement et la Gare Saint-Lazare. Les maires d’arrondissement hostiles au processus révolutionnaire commencent à s’y opposer, autour de la mairie du II° arrondissement. Il y a des affrontements entre les manifestants réactionnaire set la Garde nationale qui tire : on relèvera une dizaine de morts.
Nouvelle étape du processus de radicalisation : le Comité central de la Garde nationale, toujours sans se considérer comme un gouvernement, conteste néanmoins l’Assemblée nationale dont il considère qu’elle a été élue à la veille d’une capitulation, sous la pression de l’étranger et des baïonnettes prussiennes. Dans un appel, il indique quel est, pour lui, l’enjeu réel, révolutionnaire, des élections à Paris en ces termes : « vous vous convoquez vous-mêmes, par l’intermédiaire de votre comité pour donner aux hommes que vous aurez vous-mêmes élus un mandat que vous aurez vous-mêmes défini » Ou encore : « les membres de l’assemblée municipale sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables. C’est une telle assemblée, la ville libre dans u pays libre que vous allez fonder ».
Ville libre dans un pays libre : cette expression pose le problème des rapports entre Paris et la Province. On sait que la défaite ultérieure de la Commune doit beaucoup à l’isolement de Paris. Pourtant, en ces derniers jours de Mars 19871, des Communes sont également proclamées dans certaines villes de Province : Marseille, Lyon, Narbonne, Saint-Etienne ou Toulouse. Mais ces Communes ne durent que quelques jours. Finalement, par une affiche placardée dans Paris parallèlement à celle du Comité central de la Garde nationale, une partie des députés parisiens et des maires d’arrondissement apportent leur caution au processus électoral, bien que le gouvernement et l’assemblée nationale aient repoussé toutes les tentatives de conciliation menée par Clémenceau.
Certains membres de la Garde nationale sont candidats, mais le Comité central de la Garde nationale lui-même ne participe pas en tant que tel au processus électoral et ne parraine pas de candidats. Mais, dans un texte souvent cité, il définit le « profil » - comme on dirait aujourd’hui - souhaitable des futurs élus en ce termes : « défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ! Défiez-vous également des parleurs incapables de passer à l’action ! Évitez également ceux que la fortune a trop favorisé, car rarement celui qui possède la fortune est disposé à considérer le travailleur comme son frère ».
Et puis, surtout, il y a cette invitation qui n’a rien perdu de son actualité : « Cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages. Le véritable mérite est modeste et c’est aux électeurs à connaître leurs hommes et pas à ceux-ci à se présenter ».
La campagne électorale sera relativement courte, mais elle est animée avec la participation active de toutes les sensibilités du mouvement, les conciliateurs et les légalistes (autour des maires et des députés), les membres de la Garde nationale, les révolutionnaires blanquistes, des républicains soit de philosophie centraliste soit, au contraire, fédéralistes, les délégués du Comité des 20 arrondissements, des membres des clubs politiques qui viennent de se créer et, bien sûr, les militants de l’Association internationale des travailleurs.
Le 26 mars, à l’issue d’une semaine de pouvoir insurrectionnel, la parole est donnée au suffrage universel.
Épisode 9 : les premières mesures de la Commune
Les listes utilisées pour l’élection municipale ont été établie un an auparavant, sous l’Empire. Ce sont les mêmes listes qui ont servi en Novembre, puis en Février . Par définition ne sont inscrits sur ces listes que les hommes, français et habitant Paris. Il n’y a donc ni femme ni étranger sur ces listes. Le 26 mars, le taux de participation est plus faible que lors de consultations précédentes : 230.000 votants, au lieu des 300.000 qui s’étaient déplacés en Février, sur 480.000 inscrits. Bien sûr, il faut prendre en considération le départ de ceux qui ont quitté Paris, soit pendant la guerre et le siège de Paris, soit du fait de l’insurrection. On évalue à une centaine de milliers de personnes – hommes et femmes donc – celles et ceux qui ont quitté Paris.
40.000 voix se sont portées sur les maires et les députés qui s’opposent au processus. On note sans surprise que c’est dans les quartiers populaires de l’Est de Paris que l’on trouve les scores les plus favorables à la Commune. Sur 92 élus – en fait, 85 car certains ont été élus dans plusieurs circonscriptions – le « parti de maires » recueille une quinzaine d’élus qui vont indiquer immédiatement qu’ils ne siégeront pas dans une institution qu’ils ne reconnaissent pas. Les autres élus se répartissent entre les différentes sensibilités du mouvement favorable à la Commune. Dans son ouvrage, « Paris libre, 1871 », l’historien Jacques Rougerie effectue une tentative de recensement par sensibilité politique : les partisans du comité républicain des vingt arrondissements l’ont emporté dans la moitié des circonscriptions. Le Comité central de la Garde nationale, qui n’a pas présenté formellement de candidats ni fait campagne, peut néanmoins revendiquer une quinzaine d’élus, mais qui doivent leurs succès électoral au fait qu’ils appartiennent à d’autres structures et d’autres sensibilités. Les blanquistes ont 9 élus. Les Internationaux – les membres de l’Association internationale des travailleurs – sont 17. Avec des cas particuliers comme Eugène Varlin qui a été élu trois fois ! On dénombre également onze socialistes d’autres sensibilités et quatre républicains radicaux, des « jacobins historiques ». Encore Jacques Rougerie précise-t-il que ces « listes » étaient loin de représenter des orientations politiques homogènes, mais plutôt « l’amalgame multicolore d’hommes très divers ».
En même temps que se produit l’annonce de ces résultats , la Commune de Paris est donc proclamée depuis le balcon de l’Hôtel de ville. Cette proclamation est un évènement important, un grand moment d’enthousiasme collectif. Jules Vallès, écrivain aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli et communard, utilisera des termes quasiment mystiques, puis qu’à propos de cette cérémonie à l’Hôtel de ville, il va parler de « l’épanouissement de la résurrection » ! Dans le journal « Le Cri du peuple », il rend compte de l’évènement en termes assez lyriques : « Quelle journée ! Ce soleil tiède et clair qui dore la gueule des canons, cette odeur de bouquets, le frisson des drapeaux, le murmure de cette révolution qui passe, tranquille et belle comme une rivière bleue, ces tressaillements, ces lueurs, ces fanfares de cuivre, ces reflets de bronze, ces flambées d’espoir, il y a là de quoi griser d’orgueil et de joie l’armée victorieuse des républicains ».
La joie de Jules Vallès n’est cependant pas exempte de pressentiments plus sombres, puisqu’il ajoute : « quoi qu’il arrive, dussions-nous être de nouveau vaincus demain, notre génération est consolée, nous sommes payés de vingt ans de défaites et d’angoisse ». Le Conseil de la Commune tient sa première réunion le 29 mars, séance au cours de laquelle il va prendre ses trois premiers décrets. Ce sont à la fois de mesures immédiates dictées par l’urgence sociale et, en même temps, des décisions d’une portée politique considérable.
Première décision, la Commune décrète que les loyers qui sont dus depuis le moratoire du mois d’Août sont purement et simplement annulés. On rappelle que sitôt élue l’Assemblée nationale avait fait exactement le contraire en supprimant le moratoire et en rendant les loyers exigibles. La seconde décision est la suspension de la vente des objets déposés au Mont de piété pour obtenir de prêts (il existe des millions d’objets déposés en gage). Le troisième décret vaut d’être cité intégralement. Il est d’ailleurs très court puisqu’il fait moins de trente mots :
Article 1 : la conscription est abolie.
Article 2 : aucune force militaire autre que la Garde nationale ne pourra être créée ou introduite dans Paris.
Article 3 : tous les citoyens valides font partie de la Garde nationale ».
Ainsi, toutes les tâches qui sont celle de la défense, sont confiées à la Garde nationale qui, on s’en souvient, ne constitue pas un corps séparé de la population mais une sorte de milice organisée sur une base géographique, dans les quartiers et qui revendique d’élire ses chefs. En pratique, cette décision n’est rien de moins que la suppression de l’armée permanente, qu’elle soit de métier ou de conscription et son remplacement parce que l’on appellerait aujourd’hui une armée populaire : tous les citoyens valides font partie de la Garde nationale. L’armée que veut la Commune n’est plus tout à fait une armée, c’est… le Peuple en armes, dans la tradition d’ailleurs de la Révolution française.
Quatre jours plus tard, le 2 Avril, la Commune décide de plafonner les salaires des fonctionnaires et des élus pour les aligner sur ceux des ouvriers. Trente-quatre ans avant la fameuse loi de 1905 périodiquement évoquée, la Commune qui considère que « le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté» décrète la séparation de l’Église et de l’État. On a souvent reproché aux Communards leurs proclamations lyriques et verbeuses. Mais, rien de tel pour ce décret, comme pour le décret que l’on vient de citer sur la conscription. L’essentiel est dit en peu de mots :
Article 1 : L’Église est séparée de l’État.
Article 2 : Le budget des cultes est supprimé.
Article 3 : Les biens dit de mainmorte appartenant aux congrégations religieuses (meubles, immeubles) sont déclarés propriété nationale.
Article 4 : Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens pour en constater la nature et les mettre à disposition de la Nation.
Ce n’est pas très long, mais assez explicite ! Le 2 avril toujours, la Commune déclare la mise en accusation du gouvernement Thiers. A Courbevoie, en région parisienne, les troupes gouvernementales (versaillaises) attaquent les Communards qui se replient et se préparent à riposter, ce qu’ils font en direction de Versailles, le 3 Avril. Sans doute trop tard et, en tout cas, à contretemps. Encore faut-il dire un mot des faiblesses politiques, réelles ou supposées de la Commune. Dans cette rubrique, les historiens de la Commune – à commencer par Lissagaray, souvent cité ici – rejoignent les théoriciens révolutionnaires comme Marx, Lénine ou Trotski pour s’étonner des hésitations et des scrupules des Communards, essentiellement sur deux points : l’affaire dite de la Banque de France et le retard pris à organiser la riposte contre Versailles. Jamais les Communards ne s’empareront de l’or de la Banque de France.
Pourquoi les Communards n’ont-ils pas profité de l’avantage que leur donnait la victoire de l’insurrection le 18 mars pour, en quelque sorte, achever le travail et marcher sur Versailles dès le 19 Mars, au lieu de laisser à la contre-révolution le temps dont elle avait besoin pour isoler Paris par rapport à la Province et lancer l’offensive ? Ce sont là des questions assez redoutables ; il serait assez présomptueux de prétendre y répondre. Ce que l’on peut dire, avec une certaine prudence, est que ces exemples – la Banque de France, le retard à marcher sur Versailles – illustrent les hésitations et les faiblesses stratégiques sans doute de la Commune. En même temps, on l’a vu, ce n’est que progressivement et très partiellement que les Communards prennent conscience de ce qu’ils sont en train de faire : une révolution politique et sociale. De plus, rien ne permet d’affirmer que l’expropriation de la Banque de France ou une offensive immédiate des Communards sur Versailles auraient pu inverser le cours de l’Histoire.
Toujours est-il que la contre-offensive des Communards les 3 et 4 Avril, a été déclenchée sans préparation ni stratégie, sur fond de divergences entre le Comité central de la Garde nationale (qui continue à exister) et e Conseil de la Commune qui est le nouveau pouvoir politique. La contre-offensive est désastreusement dirigée et se traduit par un fiasco. Plusieurs milliers de combattants de la Commune sont fait prisonniers et conduit en captivité à Versailles. Gustave Flourens, l’un des premiers chefs militaires de la Commune, est exécuté sommairement par un gendarme, de même que de nombreux autres prisonniers.
Le même jour, une Commune se crée à Limoges, mais elle est immédiatement écrasée. A Paris, le Conseil de la Commune décide donc le désarmement des gardes nationaux qui ne sont pas favorables à la Commune. L’essentiel des gardes nationaux sont favorables à la Commune, mais certains bataillons ne le sont pas. Deux évènements qui illustrent dramatiquement les contradictions de la Commune se produisent les 5 et 6 avril. Dans le XI° arrondissement, les habitants s’emparent des deux guillotines qu’ils ont trouvées dans la prison de la Roquette. Ils les considèrent, selon leurs termes, comme « des instruments serviles de la domination monarchique » et ils en votent « la destruction pour toujours ». C’est, selon les habitants du XI°, « la consécration de la nouvelle liberté ». Cette destruction de l’instrument de la peine de mort vaut abolition de la peine de mort.
A quelques heures d’intervalle, le Conseil de la Commune prend un décret connu sous l’appellation « décret des otages ». Ce décret prévoit l’arrestation des « agents de Versailles » qui une fois condamnés comme tels par un jury populaire deviendront les « otages du peuple de Paris » et seraient exécutés en rétorsion aux exécutions versaillaises. Soixante-dix otages sont arrêtés, dont des prêtres. On voit bien la contradiction : au moment même où l’on détruit la guillotine, on institue le principe des otages.
Face aux exécutions sommaires commises par les Versaillais et à ce qui s’annonce comme une lutte à mort, la Commune est confrontée au dilemme qui a été celui de nombreuses révolutions, avec l’utilisation de moyens extrêmes et de la violence qui sont à l’exact opposé des aspirations humanistes qui sont à l’origine des révolutions.
Épisode 10 : l’œuvre sociale de la Commune
Dans les semaines qui suivent l’échec de sa contre-offensive de début Avril, la Commune va tenter s’organiser sa défense sur le plan militaire et politique. Elle va aussi s’atteler à la réorganisation de l’économie et des services publics. Surtout, elle va prendre des mesures en matière sociale et politique, mesures qui sont dictées par l’urgence d’une situation qui est une situation de crise et de misère extrême. Mais, parfois, certaines de ces mesures anticipent aussi ce que pourrait être une société débarrassée de l’exploitation.
Sitôt élu, le Conseil de la Commune avait annulé le paiement des loyers (dus depuis le moratoire du mois d’Août) et suspendu la vente des objets déposés en gage au Mont de piété. Le 8 avril, il décide le versement d’une pension à tous les blessés. Deux jours plus tard, il décide d’étendre le versement de cette pension aux orphelins des gardes nationaux, ainsi qu’à leurs veuves. Le 12 avril, il décide la suspension des poursuites judiciaires pour tout ce qui concerne les échéances impayées, les loyers, les emprunts, les effets de commerce. Le 16 avril, il décide que les débiteurs auront un délai de 3 ans pour rembourser leurs dettes.
Mais c’est surtout le 16 Avril que le Conseil de la Commune va prendre un décret d’une grande importance du point de vue de la dynamique sociale et de ce que l’on appellerait aujourd’hui le « contenu de classe » : le « décret sur les ateliers abandonnés ». Deux remarques préalables à l’analyse de ce décret. La première concerne l’organisation du travail du Conseil de la Commune : il s’est organisé en 9 commissions qui sont un peu l’équivalent de ministères. Chaque commission est animée par un Délégué, qui est un peu l’équivalent d’un ministre. Parmi les commissions, l’une d’entre elles n’avait pas d’équivalent dans les gouvernements précédents : la commission du Travail et de l’Échange. C’est un peu l’invention par la Commune du Ministère du travail, une institution qui n’apparaîtra que 30 ans plus tard, sous la Troisième République.
Ce qui est encore plus sans équivalent est la personnalité du titulaire du mandat de Délégué de cette commission : Léo Fränkel. Il est ouvrier bijoutier, orfèvre. C’est un syndicaliste, socialiste, membre de l’Association internationale des travailleurs. Il est membre de la Garde nationale et a participé aux activités du Comité central républicain des vingt arrondissements. Pour compléter le tableau, il faut ajouter qu’il est juif et hongrois. Autrement dit, c’est un étranger. On a donc un « ministre » de nationalité étrangère. Bien évidemment, il n’est pas inscrit sur les listes électorales et n’a pas le droit de vote. Pourtant, lors des élections au Conseil de la Commune, le 26 mars, il a été élu dans le III° arrondissement.
Une Commission de validation est donc obligée de se pencher sur son cas. Le verdict rendu par cette commission est sans ambiguïté et constitue l’une des grandes pages de la Commune et sans doute du mouvement révolutionnaire puisque les termes de la validation sont les suivants : « considérant que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle, considérant que toute cité a le droit de donner le titre le citoyen aux étrangers qui la servent, la Commission est d’avis que les étrangers peuvent être admis et vous propose l’admission du citoyen Fränkel ».
La seconde remarque est que la Commune est extrêmement diverse en termes de sensibilités organisées ou non, en termes d’aspirations et de ressorts politiques. Aux origines du mouvement, on a vu qu’il y avait la puissance du sentiment républicain, la lutte pour la liberté, la référence à la Révolution française, la puissance du sentiment patriotique et la volonté de lutte contre l’occupant. Les questions sociales et les convictions socialistes sont également présentes. Elles vont surtout s’investir autour de la Commission du Travail et de l’Échange. Son délégué, Léo Fränkel, ne fait d’ailleurs pas mystère de ses convictions et affirme : « La révolution du 18 Mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être de la Commune ».
Revenons maintenant au décret du 16 Avril, sur les ateliers abandonnés. Un certain nombre d’ateliers parisiens ont été abandonnés par leurs propriétaires soit à cause de la guerre et du siège de Paris, soit à la suite de l’insurrection. Leurs ouvriers sont au chômage. En réponse à cette situation, la Commune prend un décret qui convoque les chambres syndicales afin qu’elles constituent une commission d’enquête qui aura quatre missions : dresser la liste des ateliers abandonnés et l’inventaire des machines ; présenter un rapport qui établisse « les conditions pratiques de la prompte mise en exploitation non par les déserteurs qui les ont abandonnés mais par l’association coopérative des ouvriers qui y éraient employés » ; élaborer un projet de constitution de sociétés coopératives ouvrières ; et enfin « constituer un jury arbitral qui évaluera les indemnisations ». Car il a été prévu qu’au retour des patrons, il y ait une cession définitive des ateliers aux sociétés ouvrières, mais moyennant indemnisations.
Cent cinquante ans plus tard, alors que le mouvement ouvrier a connu de nombreux débats sur les nationalisations, la question des indemnisations, des expropriations, on peut trouver ce décret assez modéré puisqu’il n’est pas question d’exproprier les exploiteurs en général mais seulement ceux qui ont abandonné leurs usines et leurs ateliers : les capitalistes « défaillants », en quelque sorte. En plus, on projette de les indemniser. Mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque qui est celui du développement et de l’expansion capitaliste, où la propriété privée a un caractère absolument sacré et où le patronat est tout puissant. Cependant, le décret - il faut le noter - fait la part belle aux projets coopératifs, sous l’influence donc des adeptes de Proudhon au sein de l’Association internationale des travailleurs. Et pourtant, ce que dit le décret est assez considérable ! Il dit que l’on va arracher les entreprises à leurs propriétaires. Il dit qu’elles vont être confiées aux ouvriers qui y travaillent : c’est la gestion ouvrière, la gestion de la production par les producteurs eux-mêmes, organisés en coopératives. Et, pour faire bonne mesure, le décret ajoute que ce processus sera conduit pas les syndicats…
Dans la pratique, ce processus va se mettre en branle. Mais, comme pour de nombreuses décisions de la Commune, le temps manquera pour aller très loin dans la réalisation. Dans plusieurs branches d’activités, le travail de recensement débute. Des coopératives commencent à se constituer pour postuler à a reprise des entreprises comme, par exemple, l’association des fondeurs de fer de la rue Saint-Maur. Dans le XV° arrondissement, la fonderie Brosse est effectivement réquisitionnée. Cette dynamique s’approfondit : début Mai, le Conseil de la Commune est saisi d’une nouvelle proposition visant à aller plus loin puisqu’il est prévu de réquisitionner non seulement les ateliers abandonnés mais aussi tous les grands ateliers « monopoleurs », ce qui va bien au-delà de ceux qui ont été abandonnés. Le 21 mai, alors que commence la « Semaine sanglante » - la Commune n’a plus que quelques jours à vivre – l’atelier d’armes du Louvre se transforme en coopérative.
Au cours de la seconde quinzaine d’Avril, la Commune va prendre d’autres mesures d’ordre social. Le 20 Avril, la Commune interdit le travail de nuit chez les boulangers. Le 25 avril, elle ordonne la réquisition des logements vacants pour y loger les victimes des bombardements versaillais. Le 28 Avril, la Commune supprime le système des amendes, des pénalités et des retenues sur salaire auquel étaient soumis les ouvriers. L’œuvre sociale de la Commune s’est développée sous l’impulsion de la Commission du Travail et de l’Échange et sous l’influence des partisans du socialisme, en premier lieu les membres de l’Association internationale des travailleurs.
Dans ce domaine, la mobilisation des femmes a joué un rôle déterminant.
Épisode 11 : les femmes en première ligne
On a vu comment s’était déployée l’œuvre de la Commune dans le domaine social au cours du mois d’Avril 1871 et l’on indiquait en conclusion de l’épisode précédent que la mobilisation des femmes y avait joué un rôle essentiel. Le 11 Avril paraît un premier « appel aux femmes », rédigé par l’Union des femmes, qui se caractérise par son contenu radical, notamment sur le plan social alors que de nombreux Communards se situent souvent, pour l’essentiel, sur le terrain des libertés publiques, de la démocratie et de la République. L’appel aux femmes affirme sans ambiguïté : « nos ennemis sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de nos misères ». L’appel identifie l’un des obstacles majeurs à l’émancipation ouvrière d’une manière qui anticipe des dizaines d’années de débats pour articuler féminisme et lutte des classes : « toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes constitue une des bases du pouvoir des classes dominantes ».
Dès le lendemain, le 12 Avril, sont publiés les statuts de cette nouvelle organisation : « l’Union des femmes » ou, pour prendre son titre exact, le « Comité central de l’union des femmes pour la défense de Paris et des soins aux blessés ». En fait, c’est dès le début des mobilisations qui ont débouché sur la Commune que les femmes ont participé activement au mouvement. En Janvier et Février 1871, lors de la floraison de clubs politiques et de comités qui se créent à Paris, on note la création d’organisations de femmes : des comités de citoyennes, des comités de vigilance comme celui du XVIII° arrondissement qui compte Louise Michel dans ses rangs, ou encore l’association civique des citoyennes du VI° arrondissement.
Et puis, bien sûr, il y a eu l’évènement fondateur de la Commune : l’insurrection du 18 mars. Lorsqu’au petit matin l’armée a voulu s’emparer des canons aux Buttes-Chaumont, c’est une foule essentiellement composée de femmes qui a entouré la troupe, qui l’a immobilisée, a désagrégé son obéissance aux ordres et, en provoquant les scènes de fraternisation, a finalement donné l’impulsion à l’insurrection. Début Avril, lorsque les Communards commencent à discuter sur la reprise de l’offensive, une manifestation de femmes se rassemble Place de la Concorde, puis au Pont de Grenelle et veut marcher sur Versailles.
Le 12 avril, se crée officiellement le Comité central de l’union des femmes pour la défense de Paris et des soins aux blessés : c’est une organisation très structurée, plus structurée que bien des clubs politiques. Ce Comité central est composé de déléguées d’arrondissements. Il est animé par une Commission exécutive qui comprend notamment : Nathalie Lemel, ouvrière relieuse ; Élisabeth Dmitriev, intellectuelle russe qui sera fait citoyenne de Paris ; Marceline Lexous, couturière ; Blanche Lefevre, modiste qui sera tuée sur les barricades, fin Mai ; Aline Jacquier, brocheuse ; Thérèse Collin et Aglaé Jarry.
Cette Union des femmes développe une activité considérable en termes de réunions publiques dans les différents arrondissements, d’administration des soins aux blessés, de permanence pour la collecte et la distribution de la nourriture pour les veuves et les orphelins. Mais, justement, l’Union des femmes ne veut pas être confinée aux tâches de soins, d’entraide et de solidarité, tâches souvent dévolues aux femmes, à cette époque… comme après. L’Union des femmes s’intéresse en priorité au travail salarié. Elle considère que « dans l’ordre social du passé , le travail de la femme était le plus exploité et sa réorganisation immédiate est de toute urgence ». C’est pourquoi très rapidement l’Union des femmes revendique auprès de la Commission du Travail et de l’Échange de la Commune « d’être chargée de la réorganisation du travail des femmes en commençant par leur accorder l’équipement militaire ». Cette revendication sera satisfaite, en accord avec la Commune et, sous l’impulsion de l’Union des femmes, des associations productives de travailleuses se constituent.
Anticipons un peu sur la chronologie : au mois de Mai, dans la prolongation de ce mouvement de créations d’associations, paraîtront les statuts généraux des associations productives fédérées de travailleuses. De quoi s’agit-il ? Ces statuts prévoient que les associations productives dépendent des comités d’arrondissement de l’Union des femmes et que leurs membres soient par là-même membres de l’Association internationale des travailleurs qui est le courant le plus influent au sein de l’Union des femmes. A l’article 3 de ces statuts, on détaille la fonction de ces associations productives : « les dites associations par l’intermédiaire du Comité Central se mettront en rapport avec les sociétés productives qui existent en France et à l’étranger pour faciliter l’exportation et l’échange des produits. A cet effet seront employées des placeuses et des commis-voyageuses ». Il s’agit donc d’organiser la production et la distribution dans un cadre associatif et coopératif afin, notamment, de promouvoir le travail féminin et l’emploi des femmes.
Les femmes qui participent à la Commune, notamment l’Union des femmes, revendiquent l’égalité des salaires entre hommes et femmes. Cette revendication connaîtra un début d’application dans un seul secteur, celui qui dépend de la Commune : l’éducation. Les salaires des instituteurs et des institutrices seront identiques. D’autres revendications surgissent comme la fermeture des maisons closes, qui est la forme que prend pour ces femmes la lutte contre la prostitution. Ou encore l’élimination des religieuses des hôpitaux et des prisons.
Dans le cadre de la priorité donnée par la Commune à l’instruction et à l’école gratuite, laïque et obligatoire – qui n’est donc pas une invention de la III° République, mais de la Commune ! – la Commune va déployer des efforts particuliers pour la création d’écoles de filles et d’écoles professionnelles ouvertes aussi bien aux filles qu’aux garçons. Parmi les réalisations de la Commune, il faut aussi noter que la pension aux blessés a été étendue aux veuves et aux orphelins. Une nouvelle étape est franchie le 17 mai 1871 – c’est pratiquement l’une des dernières décisions de la Commune – avec la déclaration de l’égalité des enfants, qu’il s’agisse d’enfants « légitimes » ou « naturels » comme on dit, ainsi que des épouses et des concubines en ce qui concerne le versement des pensions.
Afin d’étudier l’œuvre sociale de la Commune notamment en matière d’égalité entre hommes et femmes, on s’est un peu éloigné de la chronologie. On va y revenir un peu, pour évoquer la fin du mois d’Avril. Après la contre-offensive manquée de début Avril et bien qu’elle ouvre des chantiers sociaux considérables comme on vient de le voir, la Commune est en sursis et tous ses efforts sont tournés vers sa survie, sa défense politique et militaire. Car à l’Ouest de Paris, les Versaillais sont aux portes de la capitale. Ils la bombardent régulièrement, réalisent des incursions dans la ville et procèdent à des exécutions sommaires. A tel point que le 12 Avril, l’archevêque de Paris écrit à Thiers, le chef du gouvernement, pour protester ; il propose également d’être échangé contre Blanqui, le vieux révolutionnaire alors emprisonné en Province. Le 21 Avril, les francs-maçons tentent une conciliation entre la Commune et e gouvernement Thiers, mais sans succès.
Parmi ceux qui ont quitté Paris et se sont enfuis à Versailles, on compte beaucoup de fonctionnaires fidèles au gouvernement, ce qui a eu pour effet de désorganiser la vie économique et les pouvoirs publics. Outre sa défense militaire, la Commune est donc contrainte d’organiser en urgence certains aspects de la vie quotidienne des Parisiens. Par exemple, le 22 Avril, elle s’intéresse à l’organisation des boucheries municipales et le 25 avril à l’organisation des poids et mesures. A Versailles, le 25 Avril, quatre communards prisonniers sont exécutés sommairement. Le gouvernement Thiers décide de bloquer le ravitaillement de Paris.
C’est une nouvelle phase de la Commune qui s’ouvre avec la création, le 1er Mai, du Comité de Salut Public.
François Coustal