La double impasse du Front de Gauche
En 2012 le Front de Gauche avait suscité un espoir de renouvèlement de la politique. Depuis, reconnaissons-le, la routine a repris, nourrissant un sentiment d’impuissance.
Nous sommes confrontés à une profonde obsolescence du système représentatif : tout ce qui a reposé sur une verticalité des rapports sociaux est caduc. Même le capital tente d’incorporer à son arsenal de commandement la prise en compte d’un processus d’autonomisation des personnes. Processus qui exacerbe les contradictions entre dominations et désir d’émancipation. Toute l’expérience montre que les modes politiques habituels ne correspondent plus aux enjeux actuels. Ni du point de vue du capital : le système représentatif est malgré tout trop exposé aux colères populaires, d’où ces structures non-élues, type commission de Bruxelles, G20 ou Tafta ; ni du point de vue des exploités et dominés : le bilan des 35 dernières années parle de lui-même. Problème : cela met en cause la conception parti qui conduit à se substituer aux intéressés.
Les contradictions du capitalisme s’aiguisent comme jamais. L’élévation du niveau des connaissances, le rythme de leur renouvèlement pose des questions en termes historiquement nouveaux : les dépenses liées aux qualifications, à la nécessité d’élargir les horizons des salariés au-delà du travail au sens étroit du terme, la nécessité d’intégrer une part croissante d’autonomie des travailleurs sont autant de réalités qui pèsent sur ce qu’on appelle le retour sur investissement et pousse à une aspiration de démocratisation de toute la société. Cela incite le capital à chercher d’autres sources d’accumulation : spéculation, pillage des fonds publics, surexploitation de l’Afrique, de l’Asie. Faute d’obtenir une adhésion enthousiaste, il effectue une fuite en avant en éloignant encore davantage des citoyens les centres de décisions, renforçant l’appareil répressif et le sentiment d’insécurité qui pousse aux comportements grégaires.
Se limiter à s’opposer aux mauvais coups, induit un caractère indépassable du capitalisme, une renonciation à penser autre chose. Pour pouvoir dire que le système n’est plus amendable encore faut-il qu’un autre soit proposé. Entrevoir demain pour être plus efficaces aujourd’hui : le rapport de forces en dépend. Notre problème devient que les actions immédiates puisse se considérer comme conduisant vers une autre logique de la société. La conscience de classe n’est pas un fait sociologique mais est liée à la capacité de viser un après-capitalisme.
Cela implique de ne pas s’indexer sur les positions des partis mais sur les désirs refoulés des exploités et donc de savoir chercher au-delà du seul champ des partis. Les expériences de type coopératif, les écrits alternatifs, les aspirations à maitriser son sort, animent des millions d’êtres. Pour l’instant ces femmes et ces hommes n’ont de perception de la politique que sa surdité à leur égard. Ils renoncent à l’investir et se replient sur leur périmètre qui leur paraît sauvegarder leur capacité de maîtrise. Cela devient la cause première des abstentions. On peut toujours dire qu’ils laissent les mains libres à ceux qui captent les pouvoirs mais c’est d’abord cette surdité des « politiques » qui fait le lit de la crise politique et de la démocratie. Ce n’est qu’en respectant ce désir de maitrise qu’on peut dégager un sens nouveau aux élections. On peut en subvertir le caractère délégataire en en faisant une étape (une étape seulement) d’émergence d’un mouvement populaire qui, pour mêler luttes et dimensions institutionnelles, doit pouvoir se retrouver, sans faux semblants, à égalité de responsabilité et de pouvoir d’initiative avec les militants politiques. Ces forces étant là non pour faire à sa place mais pour favoriser le passage d’aspirations à la puissance populaire.
Faut-il encore repousser à plus tard le moment où l’on rompt avec ce qui ne marche pas ?
Pierre Zarka, Association des Communistes Unitaires/ Ensemble. Publié dans l'Humanité.