La martingale du gouvernement pour relancer l’investissement

Le gouvernement entame un second round de stimulation de l’investissement. Cette fois-ci en annonçant un amortissement majoré des dépenses d’investissement. Constatant sans doute que les mesures précédentes, sociales et fiscales, n’ont finalement rien donné, il estime qu’une seconde couche – qui coutera environ 2,5 milliards d’euros – peut enfin débloquer la situation.

Un nouveau cadeau fiscal

Malgré une légère progression du PIB, les dépenses d’investissement stagnent toujours, y compris au 1er trimestre 2015 (elles avaient baissé en 2014). La mesure avancée par M. Valls consiste à permettre un amortissement de 40% sur les investissements productifs qui seront réalisés entre avril 2015 et 2016. Cette procédure équivaut à une réduction de 13% de l’impôt sur les sociétés puisqu’elle impacte négativement le résultat imposable. Elle cible toutes les entreprises, petites et grandes. Néanmoins, le gouvernement ne donne aucune évaluation de l’impact escompté. Comme pour le CICE, ils nous refont le coup des conséquences positives en matière de redressement des marges et de créations de postes.  Cela peut-il enfin marcher ou est-ce que cela n’aura qu’un effet d’aubaine pour les entreprises ? Faisons plutôt le pari de la deuxième hypothèse.

En effet, cette question de l’investissement ne se pose pas qu’en France. C’est même une question largement partagée par beaucoup de pays développés. Il y a d’un côté une conjoncture somme toute favorable à la reprise de la demande et de l’investissement dans certaines branches : taux d’emprunts historiquement bas, avantage compétitif de l’euro face au dollar, baisse de la facture pétrolière… Or cela s’avère pour le moment insuffisant pour plusieurs raisons.

La demande finale reste assez faible en raison d’une crise sociale inchangée. Il reste de nombreuses poches de surcapacités et les secteurs concernés vont d’abord s’attacher à les résorber avant d’investir à nouveau (exemple le raffinage en Europe).  Certaines entreprises sont très endettées et cherchent plutôt à réduire le poids de leur dette avant d’investir. D’autres ne voyant rien venir sur leur carnet de commandes ne feront rien de très nouveau que d’encaisser ce cadeau. Ajoutons à cela que certaines banques restent prudentes sur la délivrance de crédit en raison de leur propre fragilité bilancielle et des contraintes en capitaux propres imposées par les organismes de contrôle. L’ensemble de ces éléments interviennent  selon des pondérations diverses, selon la taille des entreprises, leur secteur d’activité, leur situation financière etc.

Ceci vaut autant pour la France que pour beaucoup d’autres pays. Ce processus est pro cyclique, notamment dans les pays du Sud de l’Europe. Plus la récession est forte plus le crédit bancaire se fait rare et bloque les facteurs possibles d’une reprise. Mais l’Allemagne, aussi jusqu’en 2013 au moins, affichait un sous-investissement chronique. La France est entre deux eaux : à un léger frémissement d’activité a correspondu une légère relance du crédit bancaire. Mais tout cela ne fait pas la rue Michel. Encore moins côté emploi. Et ça urge pour le gouvernement qui regarde la ligne sombre de 2017 et aimerait bien nous reparler de l’inversion de la courbe du chômage.

Un faisceau de causes

Le gouvernement ne calcule pas non plus le fait que les grands groupes utilisent la situation actuelle pour accélérer leur concentration au niveau mondial. La période est favorable à la reprise des fusions acquisitions dans absolument tous les secteurs. Parce que la course à la taille est une constante de la mondialisation. Mais aussi parce que la montagne de liquidité disponible et le niveau extrêmement bas des taux d’emprunt permettent ces opérations. Avant de penser à l’investissement en France, ces groupes, qu’ils soient français, américains ou autres, pensent en termes de consolidation internationale (voir à ce propos le deal possible entre Alcatel-Lucent et Nokia ou entre Lafarge et le suisse Holcim). Sans même parler ici de la catastrophe industrielle et financière qui s’annonce peut-être pour Areva. Tout cela nous éloigne de l’investissement !

Non l’argent ne manque pas et si l’investissement n’est pas au zénith c’est que l’économie réelle –pas celle de la bulle sur la valorisation boursière de certaines entreprises – envoie toujours des signaux de grande prudence. Prudence sur la reprise américaine, prudence sur l’Europe, prudence sur la demande chinoise, prudence sur le Japon.

Le sort des PME dépend assez largement de la demande des grands groupes sur le sol français. Or, ces grands groupes investissent peu dans l’hexagone pour se consacrer en grande partie aux marchés émergents ou aux Etats-Unis. Dans certains cas même, ils chargent leurs unités françaises ou européennes de produire un maximum de trésorerie pour investir dans ces autres pays. Dans d’autres, ils rachètent massivement leurs propres actions pour servir leurs actionnaires et pour soutenir leur cours de Bourse afin de limiter les raids hostiles. Selon une première estimation, le CAC 40 pourrait cette année afficher 10 milliards de rachat de titres. Airbis a annoncé un rachat de 10% de ces actions. D’investissement il en est donc peu question hormis des situations exceptionnelles. Les entreprises sont pragmatiques et moins sujettes aux doctrines que le gouvernement. Leur juge de paix c’est le carnet de commande.

A côté du binôme « grands groupes / PME », l’autre chaînage est celui des artisans et commerçants très liés pour leur part à la demande finale des ménages. Et là aussi c’est pour beaucoup la crainte par anticipation qui limite les dépenses. En effet, le taux d’épargne des ménages s’établissait à 16 % du revenu brut disponible à fin juin 2013, l’un des taux les plus élevés en Europe. Et plus de 60% des ménages résidant en France métropolitaine détiennent de l’assurance-vie (source : Insee), soit autant que de propriétaires d’un bien immobilier. Voilà une manne que le gouvernement aimerait bien diriger vers les entreprises, les supports en actions et l’hypothétique investissement. Hélas pour lui ! L'assurance-vie à la française rime surtout avec fonds en euros, à hauteur de 85 %, car ils offrent une liquidité constante et une garantie quotidienne du capital. Transformer les épargnants en boursicoteurs ne serait-ce qu’à travers des supports d’assurance-vie n’est donc pas chose facile. Là aussi le pragmatisme et la prudence l’emporte sur les convictions abstraites du gouvernement.

Gesticulations pour 2017

Valls et Macron répondent favorablement aux demandes des entreprises en matière d’allègement fiscal, sans avouer que les freins à l’investissement ne se résument pas aux taux de marge de celles-ci. Le problème n’est pas une simple question française. L’insécurité de la conjoncture mondiale joue pleinement sur le déficit d’investissement. L’intense consolidation sectorielle dans le contexte de mondialisation fait que les grandes firmes consacrent bien plus de leur autofinancement et leur capacité d’endettement à ces opérations de vente et d’achat qu’à l’investissement productif sur des marchés historiques souvent matures. Même les ménages, pour qui les vrais clignotants sont la retraite et l’emploi, préfèrent s’éviter le risque des actions.

Si demain l’investissement devait repartir, cela ne découlera pas des cadeaux faits aux entreprises. Sauf qu’il ne sera jamais question de reprendre le cadeau ! Dernier problème pour ce gouvernement : encore faudrait-il que cette reprise génère vraiment des emplois et inverse la courbe du chômage avant 2017. Or, le passé récent d’avant la crise montre qu’investissement et reprise partielle ne débouche pas forcément sur une vive création d’emploi. Les 2,5 milliards d’amortissement exceptionnel n’en sont donc que plus misérables puisque l’on sait déjà qu’ils ne joueront qu’à la marge sur la politique des entreprises et sur le marché du travail.

Claude Gabriel

 

 

 

 

 

 

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