La politique du Rafale

La conclusion de la vente à l’Égypte de 24 avions de combat Rafales, de trois frégates et de missiles de défense a été salué comme une grande réussite commerciale et diplomatique pour la France. C’est en tout plus de 5 milliards d’euros de matériel militaires que le gouvernement français a vendu au Maréchal Al-Sissi, qui gouverne l’Égypte comme un véritable dictateur, réprimant les manifestations, arrêtant et torturant les opposants, qu’ils soient des Frères musulmans ou pas. Cet accord n’est pas juste une « vente d’armes de plus » comme l’État français en réalise chaque année, mais implique des enjeux géostratégiques militaires considérables. L’État français s’affirme ainsi ouvertement comme un des principaux soutiens d’un régime qui étouffe les aspirations des révolutions arabes et contribue à la militarisation d’une région secouée par des crises multiples.

L’enjeu de cet accord marque également un soutien de la France à la politique de l’État Égyptien sur la crise libyenne. Les conséquences de la guerre contre Mouammar Kadhafi se sont déployées dans toute la région. La nécessité d’une nouvelle intervention militaire a été envisagée ces derniers mois par le ministre de la défense Jean Yves le Drian, mais une nouvelle action militaire de la France, perçue à juste titre comme une des principales responsables de la situation désastreuse du pays, susciterait de toute évidence un large rejet de la population. Le débat traverse également le gouvernement italien. De multiples divisions opposent des groupes armées aux alliances mouvantes et deux gouvernements, l’un situé à Tobrouk l’autre à Tripoli, sont en rivalité et se confrontent dans de violents combats, tandis que des forces djihadistes se revendiquant de l’État Islamique multiplient les attentats et veulent pousser à une intervention militaire étrangère (la décapitation de 21 coptes égyptiens a clairement ce but). Alors qu’une tentative de médiation par l’ONU est actuellement à l’œuvre pour trouver une solution à la division politique du pays, le choix de la France de s’engager au côté de l’Egypte, responsable de raids aériens pour soutenir une partie contre une autre, contribue à alimenter la crise en cours. L’universitaire Jean Pierre Filiu a résumé la situation : « Ce ne sont pas des rafales que le président égyptien Sissi a achetés à la France, mais la couverture de Paris à une guerre totale en Libye. Une telle escalade militaire est en effet devenue essentielle à la pérennité de la dictature en Égypte. »

Certains observateurs ont mis en question la politique étrangère de la France qui soutient en Égypte le Maréchal Al-Sissi et s’oppose en Syrie à Bachar El-Assad.  Le quotidien Le Monde y a même vu le signe d’une diplomatique « illisible » et « incohérente » (Le Monde du 15 février 2015). Bernard Guetta dans le quotidien Libération affirme que, face aux faiblesses actuelles des États-Unis « la France, son président et son ministre de la Défense se voient en garants de la stabilité internationale » (Libération du 17 février 2015). Une vision qui repose notamment sur une alliance renforcée avec l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, qui soutiennent le maréchal égyptien Al-Sissi et visent la chute de Bachar El-Assad. Mais la compréhension de la politique française en Syrie ne peut pas faire l’économie de l’attention particulière que l’ancienne puissance coloniale, qui a contribué à créer cet État en 1920 dans le cadre du mandat français sur la Syrie et le Liban, n’a cessé de cultiver. Avec Hafez El Assad, comme avec Bachar El Assad, les présidents français successifs ont oscillé en permanence entre une logique de rapports de forces et une logique d’adaptation avec l’État Syrien, notamment à propos du contrôle du Liban, qui a toujours été considéré comme faisant partie du « pré carré » français.

En 2008, Nicolas Sarkozy avait tenté une ouverture à Bachar El-Assad et Mouammar Kadhafi pour réaliser le projet « d’Union Pour la Méditerranée ». Trois ans après, face à la puissance des révolutions arabes qui bousculent les stratégies d’influences des grandes puissances, il fait le pari, après la guerre en Libye, de la chute de Bachar El Assad face à la révolte populaire, ce qui permet de renforcer l’alliance avec le Qatar et l’Arabie Saoudite qui s’engagent dans le même objectif (ce qui s’accompagnera de la caution donnée par la France à la répression de la révolte à Bahreïn par l’armée saoudienne). Aujourd’hui, François Hollande poursuit cette politique mais la connexion de la crise syrienne avec la crise irakienne, l’émergence de l’État Islamique, que Bachar El Assad a pourtant largement contribué à renforcer contre les forces révolutionnaires démocratiques, suscite un débat en France. Un retournement d’alliance au profit du dictateur syrien est présenté, par certains courants politiques, notamment à droite, comme inévitable pour combattre l’État Islamique. Cela contribuerait à refermer un peu plus l’espoir né des révolutions arabes en légitimant les régimes réactionnaires qui étouffent les aspirations des peuples. L’issue se situe au contraire dans les efforts des peuples kurdes et syriens en lutte contre l’Etat Islamique et contre Bachar El-Assad et pour décider par eux-mêmes de leur propre avenir.

François Calaret

 

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