Le piège terroriste

7-9 janvier 2015, 13 novembre 2015. À quelques mois d’intervalle, par deux fois des meurtres collectifs de grande ampleur ont frappé Paris et la société française.

En janvier, les victimes ont été désignées (visées, ciblées ?) parce qu’accusées d’avoir par leurs dessins blasphémé, ou parce que juifs, ou parce que jugés apostats. En novembre, il s’est agi de massacrer au hasard (pas tout à fait, parmi un public nocturne, supposé « fêtard »), en « tirant dans le tas », mais au nom d’une revendication précise : Daech faisait payer le prix de l’intervention militaire française en Syrie.

En janvier, la réaction populaire a été de descendre dans les rues, immédiatement, spontanément, place de la République à Paris et dans les centres des villes partout en France, puis ce furent les manifestations monstres du 11 janvier. En novembre, la douleur a pris le dessus installant le silence d’un deuil collectif. Tandis que le pouvoir décrétait l’état d’urgence et interdisait les manifestations prévues à l’occasion de la COP 21. Inquiétant état d’urgence ! Emprunté à l’arsenal répressif instauré lors de la guerre d’Algérie, le voici réhabilité et, sous le coup de l’émotion suite aux attentats, accepté presque sans débat et quasi unanimement par les parlementaires, avant d’être prolongé, permanentisé, et même promis à être constitutionalisé ! Prétendue protection de la population, il s’avère menace effective sur les libertés publiques.

Si en janvier, sous une forme métaphorique, le « Je suis Charlie » a cristallisé ce qui est apparu comme devant être dit en réaction au choc, en novembre il semble qu’un délai ait été nécessaire pour prendre la mesure de l’événement. Pour le comprendre.

Quelles réponses du pouvoir ?

Le déploiement, à partir du sommet de l’État, des cérémonies officielles d’hommage aux victimes, des moyens militaires pour protéger la population et frapper Daech en sa capitale Raqqa, a-t-il répondu à cette exigence ? État d’urgence ici, état de guerre là-bas : un écho qui n’explique pas le lien vrai entre là-bas et ici. Un déficit de compréhension que creuse le trouble suscité par le fait que lesdits “terroristes” sont des jeunes gens de nationalité française ou belge, nés et scolarisés ici, et qu’ils sont à présent des milliers de jeunes européens, qu’on dit “radicalisés” (sic), à être partis là-bas, au djihad.

En sens inverse, du Moyen-Orient vers l’Europe, ce sont des centaines de milliers de migrants qui, chassés par la guerre, la répression et la misère, cherchent un exil en Europe. Que proposent les autorités françaises et européennes ? Une politique de contrôle accru et de fermeture des frontières ! L’Union européenne menace la Grèce d’expulsion de la zone Schengen, un chantage censé obliger celle-ci à gérer plus sévèrement cette arrivée massive des migrants. L’Union européenne négocie avec le gouvernement Erdogan pour qu’il bloque les réfugiés syriens en Turquie, ce que celui-ci concrétise par la fermeture de sa frontière sud, et interprète comme un feu vert donné à sa politique de répression des Kurdes.

Quant à l’élan guerrier de François Hollande, il s’accompagne de l’appel en direction de Poutine à une grande coalition anti-Daech incluant la Russie, laquelle intervient massivement et brutalement en vue de sauver le régime de Bachar el-Assad premier responsable de la tragédie que vit le peuple syrien et du chaos qui régne en ce pays.

Si l’objectif de Daech n’est pas de se mettre à l’abri de la guerre, mais au contraire d’exacerber celle-ci, plus de bombardements, c’est davantage de réfugiés, plus d’implication de troupes au sol, c’est de nouvelles vocations pour le djihad contre les “croisés” et autres apostats et hérétiques…

Peur versus terreur

Les agressions de janvier et novembre obéissent à une certaine rationalité. Puisque leurs auteurs et commanditaires veulent terroriser, il faut s’interroger sur ce à quoi peut conduire cette terreur.

La peur peut-être facteur de lucidité, lorsqu’elle incite à percevoir les dangers existants, à interroger leurs causes, et à définir les réponses à y apporter.

La peur peut aussi aveugler.
Tel est bien l’objectifs visé : provoquer une peur qui génère des paniques et lève la haine. En l’occurence, raviver des ressentiments, exacerber les tensions entre communautés au sein de la société française, susciter des replis et des recroquevillements conduisant à sacrifier les libertés à une pseudo sécurité, à préférer le désintérêt des affaires du monde à l’engagement, le repli sur soi à l’ouverture aux autres...

Toutes ces mauvaises pentes que le terrorisme nous invite à emprunter.

Pour déjouer ce piège, il faut non pas moins mais plus de solidarité, de liberté, de démocratie. À la pulsion de mort, opposer l’élan de la vie et de l’espoir.

Les défis du temps sont immenses. À l’évidence, les propositions politiques venant de l’Etat, du gouvernement, et des partis qui en sont partie prenante ou ambitionnent de les remplacer, ne permettront pas d’y répondre. Dans ce numéro, nous nous tournons vers des acteurs bien différents et trop souvent ignorés aujourd'hui : les travailleurs, les syndicalistes, les artistes…

Francis Sitel. Publié dans Contretemps n°28.

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