Nouvelle loi antiterroriste : vers un Patriot act à la française

Dix-huit mois après le précèdent texte antiterroriste, une nouvelle loi est en discussion à l’Assemblée nationale pour lutter contre les candidats au djihad.

Parmi les nouveautés du texte, la création d’une incrimination, l’entreprise individuelle à visée terroriste. Le délit, qui vise l’intention indépendamment de tout début de réalisation, participe d’une intervention judiciaire toujours plus hâtive, où le droit pénal ne sert plus la répression à posteriori, mais la neutralisation préventive.

Sécurité collective contre libertés individuelles

Autre innovation : l’apologie de terrorisme et de provocation au terrorisme ne relève plus de la liberté de la presse et n’est donc plus protégée à ce titre. L’autorité administrative aura le pouvoir, en ordonnant le blocage de sites, de déterminer ce qui relève de l’apologie du terrorisme et ce qui relève de la contestation politique. L’autorité administrative se voit également dotée du pouvoir d’interdire à un citoyen français de quitter le territoire national, « à l’issue d’une procédure en trompe-l’œil dans laquelle l’audition est postérieure à la décision, en présence d’un avocat alibi qui ne pourra pas consulter les pièces – d’évidence classées secret défense », note le Syndicat de la magistrature.

L’examen de cette loi intervient dans un contexte dominé par les atroces assassinats d’otages par l’État islamique, parl’enrôlement de la France dans la coalition pour intervenir en Irak et par la publication de chiffres faisant ressortir que plusieurs centaines de jeunes seraient partis de France pour le Jihad. Difficile, dans ces conditions, de garder la tête froide et d’oser contester le contenu d’une loi qui, au nom de la préservation de la sécurité collective, s’attaque à de nombreuses libertés individuelles.

Le Syndicat de la magistrature tente de faire entendre sa voix. Saisi en urgence cet été par la commission des lois, il a rendu un avis très critique. Dans une tribune publiée par Médiapart, Françoise Martres, sa présidente, et Laurence Blisson, secrétaire nationale, rappellent l’avertissement rendu en 1978 par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) : « Consciente du danger inhérent à pareille loi de surveillance, de saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre, la Cour affirme que les États ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée appropriée.  » Le syndicat y dénonce « l’érosion continue des libertés qui ne se cantonne pas à la lutte anti-terroriste mais contamine le droit pénal ».

Extension du domaine de la surveillance

« Les poches d’exceptionnalisme nées de l’invocation de menaces successives n’ont jamais disparu de notre droit, note le SM. Au contraire, elles se sont accumulées, à tel point que l’exception est devenue permanente. » Et le syndicat de rappeler la présence militaire permanente dans l’espace public, le recours à la biométrie à grande échelle… Les magistrats poursuivent : « Nombre de ces mesures servent en réalité d’autres fins : l’extension des possibilités de contrôle (contrôles d’identité aux frontières [1], fouilles de véhicules…), votées au nom de la protection de la société contre le terrorisme, a plus contribué à la poursuite de délits mineurs et la reconduite à la frontière de pères de famille qu’à la découverte de desseins criminels ! »

« Ce nouveau projet de loi anti-terroriste s’articule autour de trois axes en matière terroriste : le parachèvement d’un arsenal pénal toujours plus englobant, les atteintes à la liberté d’expression notamment par l’accroissement du contrôle du Net et la reconnaissance à l’administration de pouvoirs sans cesse plus exorbitants sur les citoyens (...) On choisit d’étendre le pouvoir de police administrative : on écarte autant de garanties procédurales, on retarde un contrôle juridictionnel par ailleurs retiré des mains du juge judiciaire. »

Et ce n’est pas tout. Le syndicat lève un lièvre. En fait, ce texte ne concerne pas seulement la lutte antiterroriste. Il « sort innocemment de son champ ». « Les articles 10 à 15 du projet de loi ne concernent pas le terrorisme : ils visent à étendre des pouvoirs d’enquête aux infractions relevant de la criminalité organisée (enquête sous pseudonyme), infléchir le travail policier en ne soumettant plus certains actes à une autorisation judiciaire (déchiffrage des données, modalités nouvelles des perquisitions informatiques), donner à l’administration pénitentiaire des pouvoirs supplémentaires de surveillance des détenus, prolonger la durée de conservation des écoutes administratives (soumises au seul contrôle de la CNCIS et non d’un juge). Ils aggravent enfin la répression des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, auxquelles le régime de la criminalité organisée pourra être appliqué. Évolution qui est loin d’être anodine, cette infraction recouvrant tant les hacking malveillants que les formes nouvelles – et pacifistes – de contestation de l’ordre social par certains mouvements sociaux. »

Catherine Tricot. Publié sur le site de Regards.

 

Notes

[1] La loi du 23 janvier 2006 relative au terrorisme autorise de nouveaux contrôles d’identité frontaliers.

 

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