Nucléaire iranien : Trump ouvre la crise

La décision de Donald Trump de sortir de l’accord conclu en 2015 à Vienne sur le nucléaire iranien ouvre une période d’incertitude majeure. En dépit du discours belliciste de Mike Pompéo, nouveau chef de la diplomatie américaine, Trump n’est pas Bush junior en 2003. La logique de la politique étrangère de Donald Trump, parfois difficilement compréhensible, vise avant tout à répondre aux enjeux de politique intérieure. Cela implique en priorité de tenir le maximum de « promesses » qu’il a lancé dans sa campagne sans se soucier des conséquences (comme l’installation de l’ambassade US à Jérusalem) et de se démarquer au maximum de la politique de Barack Obama. Par exemple, c’est ce qui explique qu’il puisse à quelques jours d’intervalle affirmer qu’il engage le retrait des forces militaires de Syrie (au nom de l’arrêt des interventions extérieures), tout en réalisant des bombardements ciblés suite aux attaques chimiques menés par Bachar El Assad contre son peuple (l’enjeu principal pour Trump n’étant pas le sort du peuple syrien vite oublié mais de démontrer qu’il réagit, à la différence d’Obama, quand une « ligne rouge » est franchie).
La rupture de l’accord sur le nucléaire iranien répond à ces deux enjeux : se démarquer de son prédécesseur et tenir un de ses principaux engagements de campagne. Il est difficile d’anticiper les conséquences d’une telle décision. Si l’accord est maintenu par les autres signataires (Chine, Russie, France, Royaume Uni, Allemagne et UE en tant que telle), ce qui n’est pas le plus probable, cela ouvrira une situation internationale inédite, démontrant qu’une autre logique de coopération, même limitée, entre États peut se développer, de façon indépendante de la première puissance mondiale que sont les USA. Si par contre l’Iran décide à son tour de se retirer de l’accord et de relancer l’objectif de détention d’une arme nucléaire, ce sera un facteur de crise supplémentaire dans une région déjà traversée de conflits multiples.
Le risque le plus immédiat réside dans une confrontation accrue, déjà perceptible, entre Israël et l’Iran. La position de l’establishment israélien est résumée ainsi par le journaliste Sylvain Cipel (https://orientxxi.info/magazine/donald-trump-perore-israel-frappe-en-syr...) : une partie était favorable à la poursuite de l’accord sur le nucléaire iranien, une autre représentée par le gouvernement actuel, prônait la rupture. Par contre les bombardements menés par Israël contre les forces militaires iraniennes présentes en Syrie font l’objet d’un large consensus au nom de la « sécurité d’Israël ». Dans l’avenir, face à une possible reprise du programme nucléaire iranien, l’extrême droite au pouvoir en Israël, menée par Benjamin Netanyahou, serait capable de se lancer dans des « frappes préventives » pouvant embraser toute la région.
Beaucoup de choses vont se jouer dans l’évolution du régime iranien, très contesté par son peuple, divisé entre factions rivales, entravé dans son aspiration à développer les échanges économiques et les investissements que l’accord nucléaire laissait entrevoir. Le président français Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec Donald Trump a repris les critiques du président américain en mettant en avant la nécessité de compléter l’accord de 2015 sur deux aspects : l’influence régionale de l’Iran et ses capacités balistiques (missiles à longue portée).
Ces deux arguments doivent être discutés. La volonté du régime iranien de développer son influence régionale de façon directe ou indirecte est indéniable (que ce soit en Syrie, en Irak, au Yemen…). Mais, comme le remarque le chercheur Jean François Bayart dans un texte publié sur Médiapart (https://blogs.mediapart.fr/jean-francois-bayart/blog/140518/trump-et-l-i...), c’est le cas de la plupart des principaux États de la région. Les rivalités de puissance opposent l’Iran, Israël, l’Arabie Saoudite, la Turquie… et se déploient en provoquant ou alimentant des conflits au sein de pays qui se retrouvent déstabilisés (comme la Syrie, l’Irak ou encore le Yémen). Et ces rivalités sont largement encouragées par les grandes puissances que ce soit les États-Unis, la Russie, l’Union Européenne, qui soutiennent leurs alliés respectifs. Ces rivalités de puissances sur le contrôle de la région n’a pas grand-chose à voir avec un conflit religieux (résumé par de nombreux médias à un conflit entre Chiites et Sunnites) et n’empêchent d’ailleurs pas des phases de rapprochement (comme en 2013 avec un début d’apaisement inabouti entre l’Iran et l’Arabie Saoudite) ou des retournements d’alliance. Se limiter à souligner uniquement la volonté de puissance de l’Iran ne peut qu’alimenter les fractures existantes.
La deuxième question mise en avant est celle des capacités balistiques de l’Iran (déploiement de missiles à longue portée), soulignant implicitement le spectre de l’utilisation possible d’une arme nucléaire par le régime iranien (ce qui serait une forme de suicide collectif totalement improbable). L’enjeu des missiles balistiques est en Iran une question extrêmement sensible du fait de l’expérience traumatisante, encore bien vivante pour une grande partie de la population, de la guerre Iran – Irak des années 80. Bernard Hourcade résume à ce propos : « Les anciens combattants de la guerre contre l’Irak, qui détiennent aujourd’hui le pouvoir et contrôlent les administrations, entretiennent le souvenir de la guerre des villes, des dommages causés par les missiles irakiens dans les centres urbains. C’est pourquoi ils ont fait de la production d’engins balistiques une priorité, d’autant moins négociable que les pays voisins disposent d’un arsenal infiniment plus puissant, fourni par les pays occidentaux. Le consensus national dans ce domaine est encore plus fort que celui sur le nucléaire. » (https://www.monde-diplomatique.fr/2018/02/HOURCADE/58373) Là encore, cette question ne peut être envisagée que globalement à l’échelle de la région et se focaliser sur la responsabilité d’un seul protagoniste est voué à l’échec.
La rupture de Donald Trump avec l’accord sur le nucléaire iranien rend la situation encore plus complexe et dangereuse dans une région où se combinent des rivalités régionales entre puissances, des concurrences économiques et énergétiques entre des régimes dictatoriaux affaiblis confrontés à des contestations populaires récurrentes et incapables de faire face à des questions nationales légitimes (Kurdes, Palestiniens…) qui refusent d’être effacées de l’histoire.
La question de la lutte contre la prolifération nucléaire est un défi majeur qui s’inscrit dans ce contexte. Elle ne peut progresser qu’en atténuant les logiques des États pour lesquels la détention de l’arme nucléaire est censée être un gage de puissance, et ce pour construire de nouvelles relations internationales basées sur la coopération et le respect des droits des peuples.
Trois éléments de réponse peuvent être envisagés :
- À court terme, il faut favoriser la viabilité de l’accord sur le nucléaire iranien, malgré la rupture des États-Unis, y compris en contestant l’extra-territorialité de la justice américaine, qui se permet de sanctionner toute entreprise faisant le moindre usage du dollar.
- À moyen terme, c’est une dénucléarisation globale de la région (donc également d’Israël) qui est indispensable et qui peut permettre le développement de relations pacifiques entre États. Cela s’articule avec (et pourrait favoriser) une résolution régionale du conflit palestinien (reconnaissance des droits des Palestiniens, reconnaissance de l’État d’Israël).
- À long terme, un abandon des armes nucléaires dans une région traversée par de nombreux conflits n’est pas envisageable sans une dynamique mondiale de désarmement. Et c’est là où les autres puissances nucléaires, dont la France, ont une responsabilité particulière. Notamment parce qu’elles ont fortement contribué au développement de la prolifération nucléaire. La France a ainsi contribué, dans les années 60 et 70, au développement du nucléaire en Israël, en Irak, en Iran, au Pakistan… (cf Georges Henri Sotou, « La France et la non-prolifération nucléaire » https://journals.openedition.org/rha/7154). C’est en ce sens que le mouvement Ensemble défend pour la France une politique de désarmement nucléaire unilatéral qui pourrait contribuer de façon importante à ouvrir le débat à l’échelle mondiale et rendre possible de nouvelles perspectives de paix.
François Calaret