Pour la réussite de la RTT : une péréquation de la richesse produite !
Pour être socialement acceptable, la RTT ne pourra se faire que sans diminution du salaire mensuel, ce qui signifie une augmentation du salaire horaire. Comme des emplois seront créés en contrepartie, la part des salaires dans la valeur ajoutée augmentera. Notre propos n'est pas ici de savoir si les actionnaires pourront ou pas encaisser cette hausse – s'ils ne le peuvent pas, c'est que la question de la transformation sociale est posée et nous ne pouvons que nous en réjouir – mais de s'assurer que les unités de production à faible valeur ajoutée seront capables d'absorber cette hausse des salaires. En d'autres termes, en admettant que le profit soit absorbé par les salaires, est-ce que toutes les entreprises pourront au moins payer le salaire minimum qui aura été de facto revalorisé par la RTT ?
Cette question est loin d'être anodine quand on constate que de nombreux projets d'Economie sociale et solidaire qui, souvent, ne dépendent pas du système marchand, ont toutes les difficultés pour payer correctement leurs salariés. De même, dans les reprises d'entreprises par les salariés en SCOP, la question du maintien des salaires est une question souvent douloureuse tant la valeur ajoutée de l'entreprise en redémarrage est faible. Les statistiques de l'INSEE nous montrent une différence très sensible de la valeur ajoutée moyenne par salarié selon la taille de l'entreprise. Ainsi en 2011, la valeur ajoutée moyenne par salarié s'établissait à 99 000 euros dans les grandes entreprises[1] alors que celle-ci n'était que de 65 000 euros dans les PME[2], soit une différence d'environ 50 %. Si les salaires sont généralement plus importants dans les grandes entreprises que dans les petites, l'écart n'est pas aussi significatif. Ceci nous confirme que les profits sont plutôt concentrés dans les grandes entreprises – souvent donneuses d'ordres – que dans les petites.
Jusqu'à présent, la seule solution qui a été apportée à ce problème – et les lois Aubry ne font pas exception – ont été les exonérations de cotisations sur les bas salaires. Bilan catastrophique : elles baissent les ressources de la sécurité sociale ou creusent le déficit budgétaire et créent des trappes à bas salaires. Plutôt que d'exonérer de cotisations sociales les bas salaires et mettre à contribution les budgets publics, pourquoi ne pas mettre à contribution les entreprises riches ? Tel est l'objet de cette péréquation.
Un nouveau régime de répartition
Le principe de base de la péréquation consiste à extraire une partie de la richesse produite pour la redistribuer de façon strictement égalitaire en fonction du nombre d'équivalents temps plein de chaque entreprise. On décide un pourcentage à redistribuer qui peut être, par exemple, de 30 %, de 40 % ou plus. Les statisticiens savent anticiper la production à venir et le nombre d'emplois en équivalent temps plein qui réaliseront cette production. On peut donc calculer a priori un montant d'allocation qui sera donné pour chaque équivalent temps plein. Ainsi chaque personne en activité se verra garantir une somme donnée quelle que soit la valeur ajoutée produite dans l'entreprise.
La péréquation doit devenir un nouveau régime obligatoire auquel toutes les entreprises participeront au même titre que la sécurité sociale. Afin que le régime soit fluide, les transferts se feront sur les différentiels. Tous les mois, au moment de la déclaration de TVA, toutes les entreprises calculent la richesse produite et disponible[3], puis en déduisent ce qu'elles doivent par application du pourcentage de péréquation. Elles évaluent le nombre d'équivalents temps plein employés et donc le montant qu'elles doivent recevoir. Deux cas de figure se présentent : ou l'entreprise doit plus que ce qu'elle doit recevoir et elle règle immédiatement la différence ; ou elle doit recevoir plus que ce qu'elle doit auquel cas, elle recevra un règlement dans les jours qui viennent. Le régime ne fonctionne ainsi que sur les soldes de trésorerie, ce qui lui permet d'être facile à mettre en œuvre.
Le complément indispensable de la RTT et de toute hausse de la part des salaires
Lorsqu'il s'agit d'augmenter les cotisations sociales ou les salaires, les entreprises à faible valeur ajoutée et à faible rentabilité nous opposent toujours : « Comment allons-nous faire maintenant pour payer les salaires, déjà qu'ils ne sont pas forts ? » Dans le cas d'une entreprise qui fait peu de profits, cette objection est réelle et la reprise de l'entreprise par ses salariés ne changera rien au problème. Avec la péréquation, la réponse est évidente. Supposons que la hausse des salaires induite par la RTT soit de 20 %, il suffira alors de mettre en place une péréquation dont l'allocation couvrira au minimum cette hausse de 20 % sur le salaire minimum et l'argument tombera. La nouveauté est que ce ne seront plus les budgets publics qui seront mis à contribution mais les entreprises riches.
Dans la fonction publique financée par les prélèvements, les rémunérations sont de facto totalement indépendantes d'un quelconque mécanisme marchand. Avec l'introduction de cette péréquation, une partie de la rémunération des travailleurs du secteur marchand commence à être déconnectée du comportement économique de leur unité de production. C'est un outil de long terme qui permettra d’œuvrer progressivement à la démarchandisation générale de l'économie.
Pour plus d'informations : www.perequation.org
Benoit Borrits
[1]Entreprises de 5000 salariés et plus.
[2]Entreprises de 10 à 250 salariés.
[3]Définie par la somme des factures et subventions encaissées desquelles on déduit les paiements de factures et d'impôts.