A propos du rapport Villani

Comme le montre très bien l'introduction du rapport Villani, les concepts et "algorithmes" associés à l'intelligence artificielle dont parle ce rapport existent depuis de nombreuses années.
Mais jusqu'à présent ils manquaient deux éléments fondamentaux pour qu'un certain nombre de fantasmes puissent devenir une réalité : les données disponibles et la puissance des machines.
Ces deux éléments réunis, la boîte de Pandore peut s'ouvrir.
Mais le rapport Villani n'en saisit pas du tout les enjeux :
- d'une part nombre d'entreprises (plus que d'États) ont compris que posséder ces deux éléments étaient le nœud de l'affaire, et que pour cela l'investissement en machines était colossal ainsi que la collecte de données. Et dans le monde ultra-libéral que l'on connaît, elles se sont employées aux deux depuis les années 2000, en construisant des centres de données y compris au pôle nord et en faisant tomber des barrières (ou en empêchant qu’elles se montent) telles que la numérisation, la vie privée, le droit d'auteur, la sécurité des données.
- d'autre part pour anticiper le monde de demain il faut dépasser le vocabulaire marketing de la "startup nation" et faire de la politique, mais cela semble être devenu un concept, surtout dans ce rapport, à l’exact inverse de la voiture sans chauffeur.
Ce rapport pointe :
- l'importante des "start ups", en demandant d'en amplifier les aides et de travailler à la transmission vers les industries et le grand public.
C'est oublier que toute l'industrie, en premier lieu celle du numérique, finance aujourd'hui sa recherche à peu de frais en permettant à des personnes de chercher à leur place "gratuitement", pour la "communauté" ; la plupart des programmes open source ne seraient pas là sans les financements des GAFA. Mais c'est la même chose dans d'autres secteurs, comme l'industrie médicale qui soutient puis avale les PME seulement lorsqu’elles trouvent ... Google rêve du revenu universel pour les mêmes raisons, il trouvera ainsi quantité de gens pour coder et trouver à sa place à peu de frais.
Le rapport pointe bien le manque de recherche ou d'enseignement dans le secteur, voire la lourdeur des cycles de formation dans un domaine qui évolue bien plus vite que les programmes. C'est vrai mais ce n'est pas nouveau, et un certain nombre de labo publics qu'on ne finance plus ne peuvent plus faire l'équilibre ! L'enjeu du financement de toute recherche, de son indépendance et de sa capacité d'anticipation n'est pas discuté dans ce rapport. Rappelons que seule la recherche fondamentale et indépendante (donc avec des financements garantis, et devrais-je dire publics ?) est un garde-fou indispensable autant qu’un moyen d’innovation sûr.
- l'importance de la création de plateformes indépendantes, française, garantissant les données et permettant aux entreprises ou autre de travailler en toute indépendance et de tester en toute sécurité (dans l'informatique comme dans d'autres branches industriels, on fait des essais, des prototypes, des scénarios qu'on cherche à valider parfois à grande échelle, et surtout dans le cas de l'IA, en les confrontant à des quantités de données importantes).
Tout cela est très bien mais cela revient à l'élément fondamental de la puissance des machines. Si autrefois les structures publiques possédaient des plateformes similaires (télécom, etc), ce n'est plus le cas aujourd'hui. Donc quelles entreprises privées seraient d'accord pour fournir de telles plateformes avec ces conditions ? Probablement aucune ! A moins de faire du donnant-donnant mais de quel type ? Est-on capable d'investir suffisamment pour en détenir ou en construire ? Peut-on dire des gros mots comme nationalisation ?
- l'importance de la "relation-client" : voilà du vocabulaire commercial pour désigner comment l'état devrait faire la promotion de l'IA auprès du public et des "acteurs économiques", il vaut mieux oublier ce chapitre. Il démontre à lui seul toute la Macronie à l'œuvre, dans sa négation des rapports sociaux.
- l'importance de la voiture sans chauffeur : c'est la tarte à la crème du moment, personnellement là aussi j'aurai préféré un chapitre sur d'autres éléments de la révolution numérique à l'œuvre, comme le bouleversement des services peu à peu remplacés par le numérique. Aucun commentaire à faire là-dessus, c'est toute la politique industrielle qui est à discuter.
- les transformations sociales et environnementales : le plus petit chapitre et pourtant le plus important, mais c'est plus facile de parler de la voiture sans chauffeur. Aucune maîtrise n'est possible sans une vraie réflexion du projet de société et d'émancipation, car comment savoir sinon si une solution nouvelle est pertinente ou non sans horizon pour le valider ?
Laurence BOFFET