Quand Bruxelles distribue bons et mauvais points

Il y a quelques jours, la Commission européenne tançait la France : « La détérioration continue de sa balance commerciale et de sa compétitivité ainsi que les niveaux élevés d'endettement du secteur public appellent les pouvoirs publics à mener une action continue ». Belle aubaine pour les libéraux tous poils. « Ultime coup de semonce » pour Les Echos, « Carton rouge » pour Le Figaro, « surveillance renforcée » pour Le Point. Tout n’est-il pas bon à prendre pour rabâcher le refrain habituel sur les réformes nécessaires ? La France le cancre de l’Europe, sans doute à cause de ses salariés et de leur refus congénital de la modernité.

La réalité est pourtant assez différente de la titraille médiatique, le cas de la France n’étant finalement qu’un cas particulier au milieu d’une multitude d’autres crises nationales avérées ou potentielles. Cet opportuniste acharnement à ne parler que de « notre crise » rappelle un peu le dicton « quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt ». Voyons cela.

Un océan de dettes

Cette année, les Etats (tous confondus) vont emprunter 7.100 milliards de dollars, soit une hausse de 2,7% par rapport aux émissions obligataires de 2013. 60% de ces emprunts concernent le refinancement de dettes arrivées à échéance. Le besoin net de financement s’élève donc à 2.800 milliards de dollars. Une paille. Le stock mondial de dette publique sera à la fin de l’année en cours de 44.700 milliards de dollars (en hausse de 86% depuis la mi-2007), dont l’essentiel est évidemment détenu en portefeuille-investisseurs à près de 85%, contre 15% par les banques centrales (source : BRI).

Les deux plus gros émetteurs sont les Etats-Unis (près de 32% du total) et la Japon (26%), très loin devant l’Italie à 4,7%, puis la Chine et le Brésil (4%). Le patronat qui trouve un peu fort de café que les Etats ponctionnent pareillement les capitaux en friche plutôt que d’aller financer directement les entreprises pourrait commencer par prendre en compte cette spectaculaire différence de responsabilité.  Si la France se trouve dans le paquet de tête des grands emprunteurs, gardons à l’esprit que les émissions obligataires de toute la zone euro excèderont à peine cette année la moitié des émissions américaines (source : Standard & Poor’s) !

Atonie et désinflation

Hormis cet océan de dette sur lequel surnage tant bien que mal l’économie mondiale, voici que l’Europe (pas la France toute seule !) se fait une autre frayeur, celle de la désinflation chronique. Ce n’est pas la déflation mais ça en a un petit goût. Or, il faut savoir que la Banque centrale européenne a normalement pour objectif une inflation à 2%, ce qui serait le signe d’une authentique reprise productive. Mais voilà, le taux d’inflation dans la zone euro n’est aujourd’hui que de 0,8%.  Abattement !

Les grands réformateurs français, de Moscovici à Gattaz, se gardent bien de raconter tout cela aux Français, histoire d’éviter leur culpabilisation. Cette moyenne européenne de désinflation rampante est la marque absolue d’une croissance atone tant du côté de la consommation finale que des investissements (publics et privés). Et sans croissance, la dette ne peut qu’augmenter en pourcentage du PIB. Elle augmente en France mais aussi dans d’autres pays. L’inflation, qui pourrait être également un instrument de réduction arithmétique de la dette, ne joue évidemment pas ce rôle en se situant en-deçà du 1%.

Cercle vicieux européen

La Commission européenne n’a pas honte de distribuer bons et mauvais points alors que les politiques menées par elle et les gouvernements depuis des années placent toute la zone dans une nasse. Pour en sortir il faudrait sans doute pouvoir revenir en arrière mais chacun sait que seul Merlin l’Enchanteur sait faire cela. Faute d’avoir cette faculté, l’Union européenne pourrait éventuellement user d’un pouvoir budgétaire et la Banque centrale pourrait favoriser la reprise à la manière de sa consœur américaine en rachetant massivement différents types d’actifs financiers pour injecter en contrepartie des liquidités dans les rouages économiques.

Hélas ! L’Europe est un nain budgétaire, pour des raisons politiques historiques : 1% du PIB communautaire.  Autant dire, rien. Quant au levier de la BCE, il faudrait déjà que l’Allemagne cesse de trainer des pieds, alors que sa propre Cour constitutionnelle a déjà engagé une procédure de contestation devant la Cour européenne de justice d’un programme, jamais encore activé par la BCE, de rachat, illimité si nécessaire, d’obligations d’Etat. La doctriner, c’est la doctrine ! Enfin, les banques elles-mêmes, prises dans les affres post-crise financières, continuent de nettoyer leurs bilans et montrent aucun empressement à relancer le crédit.

Blocage donc, cercle vicieux, spirale… il y a l’embarras des qualificatifs pour caractériser la situation européenne globale. La désinflation en dessous de 1% est une pathologie de la stagnation. Alors on peut toujours – pays par pays – stigmatiser les résistances aux contre-réformes sociales, comme cela est fait chaque jour en France. La vérité ne se décrypte néanmoins qu’au niveau de l’Union. Car comment pourrait-il n’y avoir qu’un cancre français dans une Europe retrouvant durablement la croissance mais dans laquelle, étonnement, les institutions financières affichent publiquement la crainte d’une éventuelle déflation ?

Génuflexion socialiste

Qui a fait la dette ? Qui aggrave l’atonie économique et la crise sociale ?  Rappeler aux Français – à quelques encablures des élections européennes – combien cette dialectique transnationale qu’est l’Union libérale amplifie les éléments de la crise et épaissit les contraintes, voilà ce qu’Ayrault et Moscovici pourraient répondre au fameux « carton rouge » de la Commission. Mais oublions ! Ce gouvernement n’est pas « sous contrainte », il pense au contraire  que l’astreinte bruxelloise est une nécessité, tout comme l’est son passage sous les fourches caudines du Medef.

Claude Gabriel

 

 

 

 

 

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