A qui est la rue ?

Quand la rue est à la droite c’est que les années à venir s’annoncent très sombres. Quand se regroupent toutes les réactions, du FN aux catholiques intégristes, aux nazillons et aux royalistes, des racistes aux homophobes et aux défenseurs de la « vie » contre les femmes, jusqu’à quelques imbéciles qui trouvent judicieux de défendre Dieudonné au nom de la Palestine…c’est que nous avons mangé notre pain blanc.

Des manifs contre Hollande ? Allons donc. Quel mauvais prétexte que celui-là. Ils s’en moquent de Hollande si ce n’est qu’ils haïssent en bloc tout ce qui pourrait rappeler l’existence d’une gauche en France. La vérité est tout autre : quand le pouvoir est faible, quand la gauche est inexistante, la rue appartient inévitablement à la pègre réactionnaire. La présence en sous-main d’une partie de l’UMP ne change pas la nature de ces rassemblements et c’est même significativement un débordement de la droite traditionnelle. Ils ne veulent donc pas simplement ramener la droite au pouvoir, ils veulent dévorer la société, ils veulent casser ce qu’il reste de mouvement social.

Demain ce sera les rassemblements devant les cliniques qui font des avortements, ce sera les attaques de bars gays, ce sera l’intimidation physiques des maires qui procèdent à des mariages homosexuels, ce sera les incendies de mosquées, de synagogues ou de locaux associatifs. Et ce sera bien sûr l’insidieuse présence de ces idées au sein du mouvement syndical lui-même en guise d’explication de la crise et du chômage.

La droite et l’extrême droite ne vont évidemment pas défiler pour défendre le Medef, pour la baisse des charges et la réduction des dépenses publiques. Elles se moquent bien de tout cela d’ailleurs. Elles choisissent un terrain qui n’est pas simplement le plus confortable pour elles et qui leur permettent d’avancer masquée sur le terrain social, elles choisisent surtout celui qui va le plus loin possible dans la remise en cause de tout paradigme progressiste, celui des mœurs, de la famille, du droit des femmes. C’est là-dessus qu’elles peuvent (croient-elles) renverser définitivement le sens de l’histoire. Mais avant cela, c’est là-dessus aussi qu’elles peuvent élargir leurs rangs, gagner des sympathies chez les plus modestes, chez les victimes de la crise, chez les « bonnets » qu’ils soient rouges ou pas. «Tout fout le camp, nos usines, la famille, la morale »…

La lâcheté des socialistes

Hollande vient de déclarer à propos de ces manifestations à répétition qu’il est « légitime que des manifestations puissent se tenir dans les rues de nos villes car c’est une liberté fondamentale », tout en appelant à rester « vigilant [...] par rapport à des mouvements extrémistes, racistes, qui bien sûr n’ont pas de frontières mais essaient de créer un climat ». Mais comment veut-il y répondre sur le fond ?

La vérité c’est que Hollande, le PS et ses alliés ont renoncé à la rue depuis longtemps quand celle-ci a pour fonction de mobiliser, de motiver, de construire un rapport de force. Quand ils se plient comme ils le font devant les croisades du Medef et qu’ils intriguent en coulisse pour que, surtout, les syndicats n’arrivent pas à se mettre d’accord pour de vraies mobilisations massives, comment pourraient-ils avoir l’idée-même d’une riposte de masse dans la rue contre l’ordre moral bleu marine et vert de gris ? Comment des gens qui ont pour programme la conciliation des intérêts de classe, pourraient-ils en appeler à la rue pour que cesse cette lente progression du show médiatique réactionnaire ?

Ayant renoncé à toute résistance face aux contre-réformes pilotées par le patronat, il leur restait la possibilité de mener quelques réformes sociétales. Ce qu’ils ont fait avec le « mariage pour tous », manière aussi d’affubler le quinquennat Hollande de l’aura qu’avait acquise le septennat Mitterrand avec l’abolition de la peine de mort. Mais, les voilà dans l’impossibilité de vraiment défendre leur propre audace et c’est piteusement qu’ils viennent presque s’excuser en faisant toutes sortes de courbettes sur la théorie du genre ou la PMA. Ils ne feront rien.

Et nous ?

Alors que faisons-nous ? Allons-nous nous contenter de micro-manifs sur tel ou tel sujet social alors que l’adversaire est déjà là sous nos fenêtres ? Allons-nous attendre l’impossible grande manif syndicale unitaire contre l’austérité et le Medef ? Et ce ne sera pas –hélas – la convergence des luttes d’entreprise sur l’emploi qui pourra constituer dans les mois à venir la contre-offensive salutaire.  N’y comptons pas. Surtout ouvrons les yeux. Le combat politique et social se mène nécessairement sur tous les fronts, et de plus en plus. Des dizaines de milliers de gens peuvent avoir une interprétation très ambigüe et contradictoire sur la crise, la mondialisation, la compétitivité et être capables de se mobiliser sur des questions de société qui les touchent tout autant.

Il faut une initiative rapide mais construite. Il faut une contre-offensive de masse. Associations féministes, associations homosexuelles, organisations de jeunes, soutenues par ceux qui voudront (et ils seront nombreux), un appel de personnalités… pour une manifestation nationale monstre. Plusieurs centaines de milliers de personnes à Paris ! Contre le retour de l’ordre moral, contre la misogynie, l’homophobie, le  racisme, les intégrismes religieux ! Bienvenue à ceux qui voudront défiler contre la connerie, contre l’obscurantisme, contre la papauté ; une manif jeune, festive, artistique, musicale. Un moyen pour beaucoup de gens de reprendre la parole tous ensemble.

C’est une impérieuse nécessité sinon la défaite ne viendra pas simplement du côté social mais du côté des libertés fondamentales. Prenons-y garde de suite. Reprenons la rue quand cela est encore possible.

Claude Gabriel

 

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