Retournement ou méthode Coué ?

« Le redressement n’est pas terminé, mais le retournement arrive » a déclaré François Hollande. Ces propos font écho à ceux du commissaire européen Slim Kallas qui affirme : « Des fondations solides sont en place pour que la reprise économique se poursuivre ». Le gouvernement français prévoit ainsi une croissance de 1 % en 2014 (contre 0,3 % en 2013), de 1,7 % en 2015 et de 2,25 % en 2016 et 2017. Quant à la Commission européenne, elle anticipe une croissance de 1,7 % en 2015 pour la zone euro. Rappelons qu’en 2013, malgré une progression du PIB de 0,3 % au 4ème trimestre, la zone euro a terminé l’année en récession (- 0,4 %).

Ces prévisions sont-elles crédibles ou relèvent-elle de la méthode Coué ? Avant d’essayer de répondre à cette question, une remarque s’impose. Il est pour le moins paradoxal d’attendre tout de la croissance, alors même que nous sommes dans une crise écologique majeure. Il en est ainsi du discours schizophrénique des gouvernements qui, d’un côté, se disent favorables à la transition écologique et de l’autre, continuent de ne voir que la croissance comme solution à tous nos maux. Il est vrai que rompre avec la religion de la croissance supposerait une révolution à la fois mentale et politique car il faudrait alors envisager un partage radicalement différent de la richesse produite et une remise en cause de la logique consumériste. Autant dire que ce n’est pas pour demain.

Restons en donc à nos prévisionnistes. Suite aux politiques d’austérité massive, la zone euro est entrée en récession à l’automne 2011. Elle en est officiellement sortie à la fin 2013. Cela s’explique essentiellement par un rebond des exportations hors zone euro vers les pays émergents, notamment celles de l’Allemagne, dont les deux tiers des exportations se font aujourd’hui hors de la zone euro, et secondairement celles de l’Espagne. Il a été favorisé par une tendance à la baisse de l’euro qui est passé, avec des fluctuations, d’environ 1,60 $ en 2008 à 1,30 $ à la mi-2013.

Qu’en sera-t-il dans l’avenir ? Notons tout d’abord que l’euro a repris son ascension, à tel point que la BCE semble commencer à s’en inquiéter. Patrick Artus (Flash Économie n°346 du 5 mai 2014) note que « si les entreprises restent prudentes, malgré leur profitabilité élevée et leurs réserves de cash, elles n’augmenteront que peu leurs investissements » et s’inquiète de la baisse de la croissance dans les pays émergents. Ce recul pèsera évidemment sur la demande externe adressée aux entreprises et donc sur les exportations. Mais de toute façon, la demande des pays émergents ne peut à elle seule entrainer une croissance dynamique de la zone euro qui ne peut être portée que par la demande interne. Or, suite aux politiques d’austérité, celle-ci a diminué de 380 milliards  dans la zone euro entre 2008 et 2013. Cette baisse a touché tous les pays, à l’exception de l’Allemagne qui a vu sa demande interne progresser et de la France, pays où elle s’est maintenue. Ce sont d’ailleurs les demandes internes de ces deux pays qui ont empêché la zone euro de s’effondrer.

Dans ce même document, Artus note donc qu’« il faut avoir un scénario de croissance assez pessimiste puisque : les revenus retirés aux ménages par la déformation du partage du PIB en faveurs des profits ne sont pas investis par les entreprises ; la faiblesse des coûts salariaux conduit à la faiblesse de l’inflation et au risque de remontée des taux d’intérêt réels à long terme ». Plus que la « faiblesse de l’inflation », le risque est aujourd’hui que la zone euro plonge dans la déflation, c’est-à-dire dans une spirale baissière auto-entretenue des prix et des salaires, généralisée à l’ensemble de l’économie. L’inflation dans la zone euro, qui était de 2,5 % il y a un an, est descendue à 0,5 % en mars en tendance annuelle. La Grèce est en déflation et l’Espagne et le Portugal sont en train d’y entrer. Les autres pays résistent, mais pour combien de temps ?

La déflation a pour cause la baisse continue des demandes internes dans la quasi totalité de la zone euro : la demande globale est structurellement inférieure à l’offre globale. Les politiques d’austérité en sont donc directement responsables. La déflation est une catastrophe car elle incite les acteurs économiques à repousser leurs décisions d’achat dans l’attente de futures baisses de prix. Les entreprises cessent d’investir, inquiètes à la fois du manque de débouchés et de la baisse des prix de leurs produits, ce qui renforce encore la dépression de la demande. Autre conséquence majeure, la déflation accroît donc les taux d’intérêt réels (défalqués de l’inflation), rendant plus difficiles le financement des déficits publics et le remboursement de la dette. L’augmentation des taux d’intérêts réels pèse sur les ménages et les entreprises qui hésitent à s’endetter, ce qui renforce encore la tendance à la stagnation. La zone euro risque donc d’être prise dans une spirale mortifère : les politiques d’austérité qui entretiennent la crise mènent à la déflation, qui à son tour aggrave la crise.

La zone euro est donc loin d’être sortie de la crise. Pire, celle-ci risque de s’aggraver encore, ce d’autant plus que c’est au tour de la France de mener maintenant des politiques d’austérité massive et que la plupart des autres pays continuent à faire de même. Le gouvernement prévoit une coupe de 50 milliards d’euros en trois dans les dépenses publiques, dont 21 milliards dès 2015. Les collectivités publiques qui portent l’investissement public seront particulièrement touchées. Au moment où la France sort à peine, et avec difficulté, de la récession, ces mesures risque d’avoir un effet récessif important, alors même que les autres moteurs de la croissance risquent aussi d’avoir des ratés. Au mois de mars 2014, la production de l’industrie manufacturière diminue en volume de 0,7 % après une hausse depuis octobre 2013 et, au premier trimestre 2014, la production baisse dans l’ensemble de l’industrie (- 0,3 %). La consommation des ménages ne se porte pas mieux : au premier trimestre 2014, elle recule de 1,2 %. Va-t-elle rebondir ? On peut en douter car les mesures gouvernementales vont toucher principalement les couches populaires. Avec une demande en baisse de la part de la puissance publique, une incertitude sur la demande adressée à la France par les autres pays, une consommation des ménages en berne, on voit mal pourquoi les entreprises investiraient quand que le taux d’utilisation des capacités de production reste faible (inférieur à 80 %) et que la préférence pour les actionnaires se confirme année après année : les dividendes nets versés par les entreprises non financières représentent aujourd’hui 30 % de l’excédent brut d’exploitation, taux historiquement haut.

Dans cette situation, il est peu probable que la trajectoire de réduction des déficits publics prévu par le gouvernement puisse être tenue. La Commission européenne s’en inquiète d’ailleurs puisqu’elle prévoit un déficit public de la France en 2015 à 3,4 % du PIB au lieu des 3 % annoncés. Rappelons que François Hollande avait repris l’objectif de Nicolas Sarkozy de ramener le déficit à 3 % du PIB en 2013. Suivant en cela son prédécesseur, il avait commencé à mettre en œuvre des mesures d’austérité… dont le résultat a été de rendre impossible la tenue de cet objectif qui a dû être par deux fois modifié, le déficit public pour l’année 2013 s’établissant en définitive à 4,3 % du PIB. Pour tenir les 3 %, il aggrave encore la cure d’austérité. La suite de l’histoire est connue : les mesures annoncées vont ralentir l’activité ce qui rendra difficile d’atteindre l’objectif ; le gouvernement prendra encore de nouvelles mesures d’austérité, plongeant ainsi le pays dans une spirale mortifère… à moins d’un changement politique majeur et que nos concitoyens s’en mêlent, bousculent le jeu et arrivent à imposer d’autres orientations.

Pierre Khalfa

 

 

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