Télécoms : grandes manoeuvres sur fond de profits

Les opérateurs des télécoms entament une nouvelle saison de manœuvres en tous genres dans le secteur des mobiles. En France, deux ans après l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile sur le marché, les manœuvres en cours aboutiront au retour à trois opérateurs, espérant chacun retrouver une grosse part du gâteau. Leur unique obsession : augmenter leurs marges bénéficiaires malgré la baisse de leurs chiffres d’affaires. Un éternel sacrifié dans cette course aux profits : l’emploi, variable d’ajustement par excellence.

Baisse des revenus du mobile

Les mobiles ont d’abord été le relais de croissance essentiel des opérateurs des télécommunications et une garantie pour leurs taux de profit. L’exacerbation de la concurrence a conduit à un rétrécissement des recettes de ce segment. Ce fut notamment le cas en France avec l’arrivée de Free, 4ème opérateur mobile, particulièrement agressif sur le plan des tarifs.

L’avènement de la 4G, les nouveaux investissements nécessaires à la réussite de cette technologie, les conséquences du haut débit généralisé sur les usages croisés entre internet et la téléphonie, ont accéléré les restructurations.

Orange, premier opérateur mobile avec 20 milliards d’euros de chiffre d’affaire pour l’année 2013 en France (40 milliards pour l’ensemble du Groupe sur le monde entier), affiche cependant une baisse de 4.8% par rapport à l’année précédente, et de 7% dans le secteur des mobiles. Ce recul du revenu est principalement imputable à la pression sur les prix exercée par l’arrivée de Free et à sa pratique de bas coûts. L’ARPU, sigle barbare qui mesure ce que chaque client consomme, est en baisse de 11.5%, ce qui signifie concrètement que la somme des nouveaux clients acquis ne compense plus du tout la baisse de ce que chacun paye.

Orange se porte néanmoins très bien, et l’action était en hausse au moment de l’annonce des résultats annuels il y a une semaine : et pour cause ! Les bénéfices s’élèvent à 1.87 milliards d’euros et ont donc plus que doublé et c’est la seule annonce qui compte pour les marchés financiers. Le cash flow dégagé (plus de 7 milliards d’euros) permettra d’honorer sans problème les engagements de versements de dividendes pris auprès des actionnaires (0.6 euros par action).

SFR le deuxième opérateur « historique » des mobiles en France, réalise 10 milliards de chiffre d’affaires en France, soit environ la moitié des gains d’Orange, mais aussi la moitié des revenus du groupe Vivendi auquel il appartient. Bouygues Telecom est le troisième opérateur mobile en France avec 4.7 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Free (Groupe Iliad) est le quatrième opérateur de tous les points de vue : nombre de clients, chiffre d’affaire, arrivée sur les rangs. Mais avec 3.7 milliards d’euros de revenus, il talonne Bouygues, et fort de 5.6 millions de clients, il est en progression constante et a vu notamment sa marge bénéficiaire (la profitabilité d’une entreprise, supérieure à celle de Bouygues Télécom) progresser de 31%.

Enjeu immédiat

Vivendi a mis en vente SFR pour recentrer ses activités sur les médias. Deux entreprises se sont mises sur les rangs pour ce rachat : la première Numéricable, opérateur du réseau câblé, la deuxième Bouygues Telecom.

Bouygues Telecom est mieux placé pour ce rachat mais cette hypothèse a deux conséquences de taille : la première, c’est de supprimer un opérateur mobile par la fusion de fait, de SFR et Bouygues, ce qui signifie évidemment, la fusion de leurs clientèles, soit une potentialité cumulée de 15 milliards de chiffre d’affaires, et surtout de 21 millions d’abonnés mobiles, soit à peu près autant qu’Orange. La deuxième conséquence est réglementaire (et logique) : la fusion conduirait le nouvel opérateur à posséder deux réseaux (et deux fois les licences d’exploitation des fréquences des mobiles qui vont avec). Nouvelle grande manœuvre : Bouygues cèderait ses 15000 antennes et son portefeuille de fréquences, pour la somme de 1.8 milliards à Free. Ils sont d’ailleurs d’ores et déjà rentrés en « négociations exclusives » dans ce but.

A l’issue de toutes ces opérations, on pourrait donc avoir deux opérateurs mobiles de poids égal et un troisième, dont la croissance déjà rapide, sera dopée par la possession propre d’un réseau physique très performant, ce qui lui manquait incontestablement, notamment dans la réputation de fiabilité, fondamentale pour les usagers.

L’emploi sacrifié

L’emploi n’est jamais la préoccupation de nos géants des télécoms. Le cours de l’action, sa rémunération et la capacité à dégager un cash flow opérationnel conséquent dans ce but, sont les objectifs centraux de tous leurs calculs. Et quand les revenus baissent, pour conserver leur marge, les opérateurs utilisent la variable d’ajustement de l’imploi très allègrement. Ainsi les effectifs ont baissé de 3% en France chez Orange avec 80 000 salariés aujourd’hui. Les autres opérateurs affichent des structures d’emploi généralement plus précaires avec beaucoup de sous-traitance. En 2012, SFR a supprimé 1000 postes dans le cadre un « plan de départs volontaires », soit 10% des effectifs. Ce plan social, qui prenait prétexte de l’arrivée de Free sur le marché, avait été accompagné d’une mise en concurrence sévère des salariés.

L’un des objectifs des restructurations en cours est de permettre un double-effet classique : une hausse des revenus pour le nouvel opérateur fusionné, et donc des bénéfices plus importants, une baisse de l’emploi par effet de suppressions des « doublons », ce qui permettra également d’augmenter encore le bénéfice.

L’objectif affiché des directions des entreprises concernés est de renvoyer un message rassurant aux actionnaires, pas aux salariés.Les engagements pris par la direction de  Bouygues Telecom ne concernent d’ailleurs que le fait de ne pas faire de « départs contraints ». Mais tout le monde sait dans le monde de l’entreprise désormais, que le plus probable est une somme de « démissions volontaires », des non-remplacements de personnel en départ en retraite etc. Les syndicats de SFR ont clairement communiqué sur le sujet : « Finalement, quel que soit le projet, explique Damien Bornerand, délégué CGT chez SFR, il y aura de la casse sociale : si c'est Bouygues qui nous rachète, il y aura des doublons et donc il faudra supprimer des emplois. Si c'est Numericable, la charge de la dette sera telle qu'il faudra réduire les coûts pour investir et donc supprimer des postes aussi. »

La prise de consience qu’il n’y aura pas de salariés gagnants et de salariés perdants selon leur appartenance à telle ou telle entreprise du secteur, mais des emplois perdus pour tous, avec la pression sur les salaires et les statuts de personnel qui accompagnent toujours ces restructurations, est une condition indispensable de résistance.

Hélène Adam

 

 

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