Université d'Été d'Ensemble! Atelier « Repolitiser les luttes LGBT+ »
Introduction
Au sein d'Ensemble!, suite à des discussions entre militant-e-s concerné-e-s et allié-e-s, une « commission LGBT+ » est en train de se mettre en place au sein de notre mouvement.
C'est un contexte double qui nous pousse à construire cette commission :
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d'abord un manque en terme de positionnements et d'investissements politiques de la part d'Ensemble! sur les luttes LGBT+;
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ensuite un manque de formation sur les questions LGBT+ au sein de notre mouvement.
Pour cette première initiative de la commission LGBT+, nous avons choisi de focaliser cet atelier à l'Université d'Été sur les luttes LGBT+ et sur leurs transformations récentes.
D'autres initiatives ont été réalisées ou sont en projet :
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un autocollant « Face à l'ordre moral, imposons nos droits! » a été validé;
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un suivi des initiatives parisiennes et nationales est réalisé (Pôle Radical LGBTQI, Pride de Nuit...), notamment en vue des événements d'octobre (ExisTrans, contre-manifestation face à la Manif Pour Tous...).
D'autres initiatives sont à prévoir, notamment des formations. Une formation a déjà été réalisée en mars au sein du secteur jeune.
Les bonnes volontés de camarades allié-e-s ou concerné-e-s sont donc les bienvenues !
Repolitiser les luttes LGBT+ ?
Le titre choisi suppose qu'il y a eu une dépolitisation des questions LGBT+ et donce qu'il y a eu, auparavant, une première politisation. Cela fait allusion aux évolutions des mobilisations et mouvements LGBT+.
1) De la politisation à la dépolitisation
Qu’est-ce que la politisation ?
On peut ici la définir comme le fait que ces questions soient investies politiquement et présentées comme « politiques », notamment par les LGBT+ eux/elles-même, celles/ceux-ci s'inscrivant dans un rapport de force entre dominé-e-s et dominant-e-s plus large.
Cela supposerait une « conscience de classe » des LGBT+, définie comme la conscience d’appartenir à un ensemble de groupes opprimé-es du fait d’un rapport au corps biologique, à la sexualité, aux sentiments, à l’identification de genre, qui dérange la norme. Cette norme est décrite comme « hétéro-cis-patriarcale ».
Le terme LGBT+ vise d'ailleurs à rassembler les groupes opprimés, au-delà des seul-e-s lesbiennes, gays, bi et trans. Il est une construction politique, d'ailleurs très européenne. Dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis, on parle de « queer ».
Encadré 1 : Point sur certains termes
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« cis » ou « cisgenre » désigne les personnes dont le genre assigné à la naissance (réduit à une binarité masculin/féminin) correspond au genre auquel elles s'identifient.
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« trans », « transidentité », « transgenre » désigne les personnes dont le genre auquel elles s'identifient ne correspond pas au genre qui leur a été assigné à la naissance.
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« transsexuelles » désigne les personnes qui ont connu une évolution d'attributs physiques liés au sexe biologique pour correspondre au genre auquel elles s'identifient. Le mouvement LGBT+ rejette très majoritairement ce terme qui tend à médicaliser les questions « trans » et à confondre le « sexe biologique » et le « genre » assigné par la société.
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« AFAB » : assigned female at birth, assigné-e femme à la naissance
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« AMAB » : assigned male at birth, assigné-e homme à la naissance
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« Queer » : En France, ce terme est très dévalorisé par certaines parties du mouvement LGBT+. Il désigne les personnes refusant les identifications et divisions liées au genre. Aux Etats-Unis, sa signification est bien plus large : il désigne l'ensemble des personnes dont le rapport au corps, à la sexualité et aux sentiments dérange la norme hétéro-cis-patriarcale.
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« MOGAI » : « Marginalized Orientations, Gender identities, And Intersex » : « Orientations (sexuelles, ou romantiques) et Identités de Genre Marginalisées et Personnes Intersexes. » : Ce terme, à la base anglo-saxon, s'implante en France. Il est plus inclusif et a le mérite de ne pas être une série de groupes mais bien de regrouper les personnes « marginalisées » (on pourrait dire « dominées »).
On oppose souvent une politisation originelle des mobilisations LGBT+ à une dépolitisation qui toucherait les mouvements LGBT+.
Cette dépolitisation serait intervenue dans les années 2000, marquées par l’abandon petit à petit de formes d’organisations « phares » comme Act-Up!, la fin du militantisme LGBT+ et la transition avec l'acquisition d'une place respectable pour une partie des LGBT+ (pour faire simple : les mecs blancs cis issus des classes moyennes et supérieures) qui s'intègre à la consommation de masse par exemple. On parle ainsi de « Pink capitalism » par analogie avec le « capitalisme vert ».
Si la mobilisation en 2012 a été relativement importante, la loi obtenue l'a été « au rabais » : pas de reconnaissance des conjoint-es comme co-parents, PMA abandonnée... Plus personne n’est sorti dans la rue pour contester ces reculs, et cela lors que les mobilisations réactionnaires étaient massives.
2) 2016, année d'une repolitisation ?
Aujourd’hui, après 4 ans de pouvoir « socialiste », les attaques contre notre camp social et contre les LGBT+ et les femmes n'ont pas cessé, bien au contraire. On peut citer :
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la fusion du ministère des droits des femmes avec celui de la famille, tout un symbole;
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une loi sur le changement d'état civil qui abandonne la médicalisation pour la remplacer par l'arbitraire judiciaire, sans écouter les revendications des associations « trans »;
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une circulaire pénalisant les gynécologues suivant-e-s des patient-e-s bénéficiant-e-s d'une PMA (depuis abrogée);
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une circulaire sur le droit de donner son sang au rabais : les homosexuel-le-s peuvent donner leur sang mais seulement si elles/ils sont abstinant-e-s depuis 12 mois !
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une instrumentalisation des femmes et des LGBT+ pour justifier des positions nationalistes sur le contrôle des migrant-e-s. On ne compte plus les sorties racistes sous prétexte de « défendre » les droits des femmes ou des homosexuel-le-s (attentat d'Orlando, arrêtés anti-Burkini, attaque de Cologne...), alors que l'indignation reste très sélective. On parle souvent d'homonationalisme ou de fémonationalisme pour parler d'un nationalisme instrumentalisant les droits des femmes et des gays.
2016 a été marquée par l'organisation ou le renforcement de 3 initiatives :
- des « pink blocs » sont apparus ( à Paris ou à Lyon par exemple ) au sein des manifestations contre la Loi Travail ou contre l'État d'urgence. Il s'agit de faire émerger des cadres féministes et LGBT+ dans les luttes sociales, d'abord pour visibiliser le fait que les femmes et les LGBT+ sont parmi les premières victimes de ces reculs sociaux et démocratiques, et ensuite pour faire émerger des cadres « safe » au sein de mobilisations où les oppressions sexistes et LGBTphobes ne sont pas absentes. On peut citer ici le virilisme tant de militants « autonomes » que syndicaux.
- l'émergence, en 2016, d'un « Pôle Radical » au sein de la Marche des Fiertés parisienne. Il s'agit d'un cadre anticapitaliste au sein de la plus grosse échéance du mouvement LGBT+ : 1.500 personnes qui chantent des slogans anticapitaliste, contre la Loi Travail, contre la transphobie, contre l’islamophobie, contre l'État d'urgence... Si l'initiative parsisienne a été la plus construite, des cortèges combatifs, « vénères », « déterminés »... ont vu le jour dans d'autres villes (Rennes, Lille) lors des Marches des Fiertés.
- la « Pride de Nuit » qui, sur des mots d'ordre plus radicaux et plus politiques, notamment contre la Transphobie, a rassemblé plus de 3.000 personnes à Paris cette année, bien plus que lors de l'édition 2015.
A lire ces 2 articles sur la Marche des Fiertés parisienne et sur la Pride de Nuit :
https://www.ensemble-fdg.org/content/apres-la-marche-des-fiertes-continuons-le-combat
http://www.regards.fr/web/article/un-grand-soir-pour-la-pride-de-nuit
Ce que ces cadres unitaires mais radicaux proposent montre une nouvelle dynamique du mouvement LGBT+. Et nous ne pouvons que nous en réjouir !
Ces mobilisations montrent un positionnement des féministes, LGBT+/MOGAI sur des luttes sociales, contre le gouvernement, contre l'impérialisme, le racisme et la xénophobie, en soutien aux migrant-e-s... Les liens entre la classe ouvrière et des groupes / mouvements / collectifs LGBT+ existent (comme l'a montré le film Pride). La non-spécialisation des LGBT+ sur elleux-mêmes est à prouver en permanence et à réaffirmer.
Ces mobilisations sont aussi un vecteur de politisation pour des personnes LGBT+ qui ne se situent pas dans la sphère politique française, qui se positionnent par rapport à l’homophobie, à la transphobie, à la biphobie, mais ne font pas le lien avec le patriarcat, avec le capitalisme. Actuellement ces personnes ne voient que Philippot faire de l'homonationalisme sur BFM ou Hollande faire du mariage pour tou-te-s au rabais sa grande victoire.
Le lien entre féminismes et luttes LGBT+ doit aussi être réaffirmé : autour de la sexualité, des luttes contre l’hétéronormativité et contre le maintien de la hiérarchie des genres où les femmes sont inférieures aux hommes. Attaquer la norme hétéro, c’est aussi permettre une émancipation ensemble des femmes et des LGBT+.
3) Un retour sur la politisation des questions LGBT+
Au-delà des luttes, et pour faire un point historique, on peut distinguer 4 phases s'agissant des questions LGBT+ selon Peter Drucker (Gay Normality and Queer Anticapitalism).
a) les sociétés antiques et du Moyen-âge, y compris dans le monde islamique, sont marquées par une non-différenciation entre hétérosexualité et homosexualité.
b) La construction d'États monopoles de la violence légitime souhaitant « réguler » la société (on parle de « civilisation des mœurs » chez Norbert Elias) marque la construction d'une norme hétérosexuelle. L'impérialisme colonial s’accompagne de la diffusion de cette norme, basée sur un « scientisme » raciste et sexiste. Alors que l’homophobie est « justifiée scientifiquement », on célèbre la romance hétérosexuelle, on médicalise la sexualité. Les trans sont confondus avec les homos (on parle alors d'« invertis »). Si la répression est réelle en Europe, elle est aussi très importante dans les colonies (l'imposition de normes se faisant de manière plus violente).
Les premiers mouvement homosexuels apparaissent en Russie et en Allemagne et suscitent la répression nazie et stalinienne. Cette répression existe aussi jusque dans les « sociales-démocraties européennes ».
c) Cette période, qui commence dans les années 60, est marquée par la « libération sexuelle » liée aux vagues du féminisme. Le contexte est celui de l’Etat providence, de l'augmentation des salaires, de libération sexuelle et aussi de la sexualisation « marketing ».
La domination gay dans les luttes LGBT+ apparaît, par rapport aux autres périodes. Les première discussions entre groupes gays et lesbiens apparaissent.
Mais cette période marque aussi l'émergence de mouvements gay et lesbiens antiracistes, anti-impérialistes ou en soutien au mouvement ouvrier.
Une ligne commence à être claire entre homo et hétéro mais avec une remise en cause des visions essentialistes.
d) Cette période des années 1980/1990 est marquée par la « dépolitisation » progressive décrite plus haut mais aussi par une forte extension des droits et par des progrès réels dans l'éducation ou dans le monde du travail (prévention des violences, sensibilisation...).
Certain-e-s parlent d'homonormativité : l'émergence d'une nouvelle normativité gay avec une « ghettoïsation » croissante (pas forcément au sens négatif), avec une exclusion des personnes trans et, à l'inverse, l'intégration de discours racistes et islamophobes.
L'extension progressive des droits aboutit aussi à la formation de familles « normales » fondées sur le mariage.
En réalité, et alors que les conquêtes en terme de droits restent insuffisantes, les LGBT+ sont majoritairement exclu-e-s de cette normativité. Une sous-culture queer rebelle se développe alors face à cette nouvelle norme. A l'inverse, une nouvelle « droite gay » se développe et embrasse le néo-libéralisme et la faillite de la gauche à prendre réellement en compte les questions LGBT+.
C'est bien la société actuelle qui entraîne des ghettos stables gay et lesbiens consuméristes et excluant pour celles/ceux ne rentrant pas dans la norme. Ces « ghettos » ne sont pas une solution même si, s'agissant du « communautarisme », on ne parle jamais de communautarisme hétéro, masculin et blanc. Néanmoins, la « non-mixité » des opprimé-e-s est un réel outil d'appui et de lutte contre les oppressions.
La lutte contre l'homonationalisme est aujourd'hui fondamentale : elle implique une réponse par la solidarité mondiale et antiraciste, en rappelant aussi que les personnes LGBT+ subissent aussi les migrations et l'arbitraire étatique (cas des personnes trans exclu-e-s du droit d'asile).
Enfin, contre le risque de familles homonormatives, certain-e-s avancent le développement d'une multiplicité queer, du polyamour ou la domesticité queer (lutte en communauté et non pas sur la base de la famille).
4) Quelles revendications pour les luttes aujourd'hui ?
Aujourd'hui, les mobilisations se centrent sur :
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l'adoption pour tou-tes;
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la PMA, la GPA posant d'importants débats dans les mouvements LGBT+;
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sur les droits des trans et des personnes intersexuées.