USA : « Socialiste », un mot nouveau
Aux Etats-Unis, quand on vous dit « socialiste », il faut entendre « gauche radicale ». Alors, quand des candidats « socialistes » s’affranchissent des règles de fer du bipartisme américain et se présentent ouvertement à des élections locales, ils mènent leurs campagnes sur les thèmes des luttes sociales, du déficit démocratique et de la gestion des biens communs, et regroupent autour d’eux des militants et des citoyens qui ont découvert l’action politique multiforme pendant le Mouvement Occupy.
En novembre 2013, Kshama Sawant, militante de l’organisation Socialist Alternative, gagnait un siège en tant que candidate « indépendante » au conseil municipal de Seattle. La campagne de Socialist Alternative avait été menée sur des thèmes locaux, tels que l’amélioration des transports en commun, ou le contrôle des loyers, mais également sur des revendications à portée nationale, comme le salaire minimum horaire de 15$.
Cette campagne pour un salaire minimum de 15$, la Fight for 15 Campaign, a été lancée par le syndicat Workers Organizing Commitee of Chicago, particulièrement actif parmi les employés de la restauration rapide. Les 21 et 22 mai 2014, une grève nationale, et une manifestation devant la « Hamburger University d’Oak Brook, Illinois, lors de la réunion annuelle des actionnaires de Mc Donald était le point d’orgue d’une vague d’actions dans plus de 130 villes aux USA et, le 16 mai 2014, dans plusieurs pays comme l’Italie et la Nouvelle-Zélande. Le développement des luttes autour ce cette revendication a permis plusieurs succès significatifs, notamment à Seattle, où le conseil municipal a imposé le salaire minimum de 15$ , qui devient maintenant un élément central dans toutes les mobilisations sociales et politiques.
Rompre avec le bipartisme
Depuis le début de l’année 2014, de nombreux candidats se réclamant du « socialisme » se présentent à des élections locales. Citons, par exemple Angela Walker, au poste de shériff de Milwaukee. Elle se présente comme socialiste « indépendante », militante du Mouvement Occupy, elle n’appartient à aucune organisation, mais elle est soutenue, entre autres, par Solidarity ( socialist, feminist, anti-racist organization). Ou encore Jorge Mujica, qui brigue un siège au Conseil Municipal de Chicago, qui mène campagne sur les thèmes des droits des immigrés, de l’école publique, contre les politiques d’austérité, au nom de la Chicago Socialist Campaign. Plus emblématique encore, Howie Hawkins, militant de Solidarity, est candidat, en tant que « socialiste » au poste de gouverneur de l’Etat de New York, son colistier (Lt Governor) étant Brian Jones, membre d’International Socialist Organization. Dans l’Etat de New York, cette candidature, sur les mots d’ordre « Taxons les riches, finançons nos écoles, travail pour tous, développement durable » se déroule sous les couleurs du Green Party de l’Etat et a recueilli le soutien de nombreuses organisations syndicales, LGBT, ou antiracistes.
Parmi les organisations de la gauche radicale américaine, cette stratégie de recours à la voie électorale fait débat. Il est clair qu’elle n’est encore qu’expérimentale, dépendante des conditions locales et que le poids du système politique électoral américain rend difficile la présentation, la visibilité et la mobilisation autour de candidatures indépendantes du Parti Démocrate.
Des thèmes communs
Mais toutes ces initiatives permettent de développer et de populariser des thèmes de lutte et de débat communs à travers tout le pays. Au-delà de la campagne des 15$ minimum, les revendications sociales s’en prennent directement à la politique de Barak Obama, autour des questions de droit des immigrés ou du développement des services publics de transport en commun et d’éducation, par exemple. Le déficit démocratique de la société américaine est également dénoncé, à travers les exigences, de plus en plus populaires, du refus de l’argent privé en politique et de la modification du système électoral. De même, les révélations des scandales d’espionnage par la NSA ont contribué à la prise de conscience du caractère liberticide des mesures prises au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Glenn Greenwald, le journaliste qui a publié les révélations et les documents d’Edward Snowden, n’hésite pas à déclarer qu’un des buts du système de surveillance américain est de « contrôler et d’anticiper tout mouvement social significatif ».
Enfin, d’autres formes d’organisations politiques sont expérimentées par les militants issus du mouvement Occupy. A Detroit, par exemple, ville sinistrée par le déficit de sa municipalité, l’After Party, récemment créé, se focalise autour de l’accès à l’eau pour tous, face aux coupures imposées par la ville aux habitants dans l’incapacité de payer leurs factures.
Quand la moitié des Américains âgés de 18 à 33 ans ne se reconnaissent plus dans le bipartisme, la parole des forces alternatives de gauche commence à se faire entendre.
Mathieu Dargel