Valls, Premier ministre : une nouvelle phase de clarification
Après des élections municipales calamiteuses pour le gouvernement socialiste, François Hollande a choisi de nommer Manuel Valls. Face au profond rejet de la politique menée par Jean-Marc Ayrault, la réponse a donc été de choisir l'homme le plus à droite de l'échiquier socialiste, une bien étrange manière d'apprécier le désarroi d'un électorat de gauche qui s'est massivement abstenu. Dès l'allocution du 31 mars, l'essentiel avait été dit : « je ne dévierai pas de mon cap » a ainsi déclaré le président de la République. C'est donc sur une orientation, « plus vite, plus fort » que le changement de gouvernement s'est opéré avec la mise en place du pacte de stabilité.
Les grandes mesures de ce pacte de stabilité budgétaire sont désormais bien connues avec un plan de réduction de 50 milliards d'euros sur trois ans : ce plan d'économies concerne pour 21 milliards la protection sociale, 18 milliards l'État et 11 milliards les collectivités territoriales.
Ces 50 milliards d'économies s'articulent avec le pacte de responsabilité et de solidarité: un allègement de 30 milliards des cotisations patronales, auxquels s'ajoutent plus de 10 milliards de baisse de la fiscalité (d'ici 2017) sur les entreprises et 5 milliards de mesures sociales et fiscales pour les ménages, dont 500 millions dès cette année. Le peu progressiste Philippe Askenazy dans une tribune parue dans Le Monde et intitulée, tout un programme, « Manuel Valls est-il assez à droite ? » résume ainsi le programme du gouvernement : « Tour de vis sur les collectivités, étranglement des hôpitaux publics, gel de prestations sociales, vaste redistribution des ménages vers les entreprises : ces choix balaient les fondements de la gauche de gouvernement ».
Après ces annonces, nombre de députés du Parti socialiste ont dans les dernières semaines manifesté leur malaise, critiques voire franc désaccord. Il faut tout de même constater qu'aucune des propositions alternatives ne remettaient en cause le diktat européen de la réduction des déficits, ni sur le principe ni sur le rythme.
Dans ces conditions, le programme de stabilité budgétaire a obtenu une courte majorité lors du vote, consultatif, de l'Assemblée nationale, avec seulement 265 voix pour, 232 contre et 67 abstentions dont 41 socialistes. Ce vote n'a pu être acquis qu'avec la neutralité bienveillante du groupe UDI (3 pour, 7 contre et 17 abstentions). Parce qu'ils sont d'accord sur l'essentiel de la politique économique à mener, le prolongement logique de l'accord du gouvernement avec le Medef devrait être une large coalition avec une partie de la droite. Ce type de gouvernement est devenu la règle dans la zone euro (Allemagne, Italie, Benelux, etc.), dans ce qu'on pourrait appeler une union européenne des libéraux. En réalité seules les institutions de la Ve République bloquent encore une telle évolution, mais cette question est profondément inscrite dans la situation politique et nourrit en retour la crise dans la coalition gouvernementale.
Le groupe EÉLV est assez symptomatique d'une évolution politique accélérée. Lors du vote de confiance du 8 avril, où Manuel Valls a présenté sa politique et donc, tout particulièrement son plan d'austérité budgétaire, le résultat avait été 10 pour, 1 contre et 6 abstentions. Trois semaines plus tard et alors qu'il n'y a, objectivement, aucun élément nouveau, le résultat est inverse : 3 pour, 12 contre et 2 abstentions. Il ne s'agit pas ici de supputer la pensée profonde d'un François de Rugy ou d'une Barbara Pompili, hier prêts à entrer au gouvernement, votant la confiance et aujourd'hui s'opposant au programme de stabilité mais d'apprécier une dynamique politique. Sans la peindre d'une radicalité qu'elle n'a pas, mais sans non plus la sous-estimer, la décision de EÉLV de ne plus participer au gouvernement induit un processus de distanciation avec la politique gouvernementale. Jusqu'où et avec quel projet, il est encore trop tôt pour le dire.
Mais le nœud du problème se situe au sein du Parti socialiste. Une abstention de 41 députés, c'est beaucoup et à dire vrai inédit au sein du parti majoritaire dans la Ve république. Il sera fort difficile pour Manuel Valls d'appliquer sa politique, dans toute sa rigueur, avec 260 députés de la gauche libérale et 20 centristes. Loin de pouvoir stabiliser la situation, la politique de François Hollande divise profondément son propre camp et ouvre la possibilité de décantations importantes. En menant une politique libérale décomplexée, de droite donc, il crée les conditions d'une éventuelle implosion du Parti socialiste. Le mécontentement qui s'est exprimé lors du vote sur le programme de stabilité sera peut-être un baroud d'honneur avant de rentrer peu ou prou dans les rangs. Il peut aussi incarner le début d'un processus de clarification au sein de ce parti et par effet de contagion conduire à des réorganisations majeures. Un réveil des mobilisations sociales accentuerait la pression sur le PS, précipiterait une crise de régime et engagerait un début de rééquilibrage des rapports de force sociaux, aujourd'hui très dégradés.
C'est tout l'enjeu.
Guillaume Liégard. Publié dans le bulletin d'Ensemble du mois de mai.